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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/57

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sein même des plus libres, des droits divers s’y développent et y coexistent, les uns pour maintenir l’ordre et le pouvoir social, les autres pour garantir les libertés publiques et les intérêts individuels, les uns déposés aux mains des princes ou des magistrats, les autres placés sous la garde des citoyens. Le respect mutuel et le maintien simultané de ces droits divers font la sûreté, la durée, l’honneur, la vie même de la société. Quand ce respect et cette harmonie manquent, quand l’un des grands droits sociaux se saisit seul de l’empire, et méconnaît, viole ou même abolit les droits collatéraux, quand la démocratie, par exemple, se croit maîtresse de changer à son gré les formes de gouvernement, les dynasties, les relations et les limites des États, ce n’est pas la liberté, ce n’est pas le progrès, c’est l’anarchie, ou la tyrannie, et peut-être aussi l’ambition étrangère qui profitent de tels désordres. Et le mal n’est jamais si grave que lorsqu’il s’attaque à la fois aux fondements de l’Église et à ceux de l’État, lorsqu’il porte le trouble dans les consciences en même temps que la fermentation dans les passions et les intérêts. Je m’arrête comme vous, Monsieur : précisément parce que ma situation et ma croyance me laissent plus désintéressé que vous dans ce grand débat, j’ai à cœur d’y laisser clairement paraître ma pensée ; mais je connais et je respecte les limites dans lesquelles mes paroles doivent se contenir.

Du reste, Monsieur, tout ce que j’ai en ce moment l’honneur de vous dire, votre illustre prédécesseur, s’il vivait encore au milieu de nous et s’il siégeait ici à ma place, M. de Tocqueville, j’en ai la ferme conviction, vous le dirait comme moi. La démocratie moderne a trouvé en lui un observateur aussi libre qu’équitable, profondément touché de ses mé-