Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/58

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rites et de ses droits, mais éclairé sur ses défauts et ses périls, très-convaincu de sa force, mais trop fier pour abaisser sa pensée devant la force, quelle qu’elle soit. Il était l’un de ces justes et nobles cœurs qui se félicitent quand, selon la belle expression de M. Royer-Collard, « la Providence appelle aux bienfaits de la civilisation un plus grand nombre de ses créatures » ; mais il savait vers quelles passions subalternes et tyranniques penche le grand nombre quand il domine sans être contenu par un puissant contrôle, et dans quels abaissements ou quelles injustices il peut jeter alors la société. M. de Tocqueville considérait donc la démocratie en général avec sympathie et inquiétude, acceptant son empire, mais réservant avec soin sa propre indépendance, et un peu étranger à l’armée dont il saluait le drapeau vainqueur. Quand il vit de près et qu’il étudia avec une sagacité admirable les États-Unis d’Amérique, il reconnut bientôt quelles circonstances singulières et propices avaient permis là à une grande société démocratique de se développer en échappant à plusieurs de ses mauvaises pentes naturelles : les vastes espaces ouverts devant elle, point de puissantes sociétés voisines et rivales, les traditions anglaises, les fortes croyances chrétiennes, tant de causes, matérielles et morales, qui ont entouré le berceau de ce grand peuple, et n’ont pas voulu que sa fortune dépendît uniquement de sa sagesse et de sa vertu. Tout en étant frappé des ressemblances qu’il remarquait entre les tendances du développement social en Europe et en Amérique, M. de Tocqueville s’empressa de dire qu’il ne concluait point de la destinée américaine à celle d’autres peuples placés dans des conditions très-différentes ; et, en décrivant la démocratie en Amé-