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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/59

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rique, il prit grand soin de mettre également en lumière les heureuses chances qu’elle avait rencontrées dans une situation jusque-là sans exemple, et les dangers qu’elle portait encore en elle-même, au milieu des prodigieux succès qu’elle avait déjà obtenus. C’est le caractère original et excellent de son ouvrage de n’être ni un plaidoyer en faveur de la démocratie, ni un réquisitoire contre elle, ni une tentative d’importation indiscrète ; c’est le tableau tracé par un observateur généreux et ami, mais clairvoyant, d’une société nouvelle, plus grande déjà qu’éprouvée ; et vous avez eu raison, Monsieur, de rappeler les propres paroles de M. de Tocqueville, qui a écrit, dit-il, son livre « sous l’impression d’une sorte de terreur religieuse, » en présence de cet élan irrésistible vers un avenir encore obscur.

Aussi, Monsieur, le succès de cet ouvrage a-t-il été, non-seulement aussi grand que vous l’avez dit, mais plus singulier et plus rare que vous ne l’avez dit : il a également frappé et charmé les amis chauds de la démocratie et les esprits qui s’inquiètent de sa domination exclusive. Les uns ont été touchés et fiers de la conviction si profonde avec laquelle M. de Tocqueville reconnaît la puissance actuelle de la démocratie, les grandes choses qu’elle a déjà accomplies en Amérique et les grandes destinées qu’elle poursuit partout ; les autres lui ont su un gré infini d’avoir si bien démêlé et si franchement signalé les vices et les périls d’un régime qu’il acceptait si hautement. Les démocrates ont vu en lui un ami vrai et les politiques plus exigeants un juge éclairé de la démocratie. Ainsi, les partis et les hommes les plus divers, les républicains de toute nuance en Amérique, les torys, les whigs et les radicaux en Angleterre, M. Royer-