Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/60

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Collard et M. Molé à Paris, l’ont admiré et loué à l’envi, les uns pour sa libérale sympathie, les autres pour ses clairvoyantes alarmes. Fortune aussi méritée qu’heureuse, car elle a été le fruit de l’admirable et grave sincérité qui règne dans tout l’ouvrage de M. de Tocqueville, soit qu’il rende hommage au grand fait social qu’il contemple, soit qu’il garde une réserve scrupuleuse dans ses conclusions.

Vous aussi, Monsieur, vous avez eu, dans cette circonstance de votre vie, une fortune rare et méritée. Vous vous félicitez, et vos premières paroles en ont remercié l’Académie, d’avoir dans ses rangs M. de Tocqueville pour prédécesseur. Vous avez raison de vous en féliciter, car nul rapprochement ne pouvait faire ressortir avec plus d’éclat et d’honneur vos mérites mutuels. Jamais peut-être de tels contrastes n’ont abouti à tant d’harmonie. Vous, Monsieur, par votre origine, votre éducation, vos premiers pas dans la vie, vous appartenez à la France nouvelle ; vous avez, dans votre jeunesse, partagé ses impressions, ses goûts, ses troubles, ses passions, ses idées. M. de Tocqueville, au contraire, était un fils de l’ancienne France ; il avait été élevé dans ses souvenirs, ses affections, ses traditions, ses mœurs. Arrivés l’un et l’autre à l’âge d’homme, votre berceau ne vous a satisfaits ni l’un ni l’autre ; vous avez tous deux ressenti d’autres désirs, d’autres besoins intellectuels et moraux ; vous aspiriez tous deux à d’autres horizons. Que faites-vous alors l’un et l’autre ? Vous, Monsieur, vous le jeune Français du XIXe siècle, vous vous rejetez de six cents ans en arrière ; c’est au moyen âge, à cette époque plus loin de nous encore par les mœurs que par les siècles, que vous de-