Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/64

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tout entier à l’observation de la République américaine ; la démocratie a été le grand, presque le seul personnage de la société et de l’histoire dont il a fait l’objet particulier de son étude. Il a été ainsi naturellement conduit à donner à l’élément démocratique une place presque exclusive dans sa pensée politique, comme moi à tenir toujours grand compte des éléments divers qui ont joué un grand rôle dans la société française, et à unir encore leurs drapeaux.

Quand sa vie politique a été brisée, quand, au lieu de la société américaine, c’est sur la société française, telle qu’elle est sortie de la Révolution française, que se sont portées ses méditations, M. de Tocqueville a senti le besoin de sonder les origines de l’être social qu’il voulait parfaitement comprendre ; il est entré alors dans l’étude, sinon de l’ancienne France, du moins de la France du XVIIIe siècle, et il a retrouvé là les éléments divers de la France actuelle, vieux et chancelants, mais encore debout et préparant eux-mêmes, de leur gré ou à leur insu, la société nouvelle qui devait prendre leur place. De là est né ce volume, l’Ancien Régime et la Révolution, la dernière et, à mon avis, la plus belle œuvre, bien qu’inachevée, de ce grand et intègre esprit qui n’a déployé nulle part, à un si haut degré, les qualités de sa nature éclairée par l’expérience de sa vie. Les fragments, malheureusement trop courts, du second volume que vient de publier la piété de ses amis, sont dignes des premières constructions de l’édifice. Si ce travail eût été placé à l’entrée et non au terme de la carrière politique de M. de Tocqueville, elle en eût peut-être ressenti l’influence ; peut-être nous serions-nous, lui et moi, mieux