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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/682

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Prends-la, » dit-il à Ésope ; « c’est aussi la première que j’ai apprise[1]. »

Que dites-vous de cette légende sur le vieux fabuliste ? La fable est une partie de la sagesse humaine, voilà ce qu’Apollonius veut faire comprendre aux censeurs dédaigneux de la fable ; mais ce qui me plaît surtout dans la légende, c’est qu’Ésope y garde le caractère que nous sommes accoutumés à lui attribuer. Il a, même avec le dieu qu’il implore, le bon sens narquois que nous lui connaissons, l’intelligence rusée que nous trouvons dans les moralités de ses fables. Il donne au dieu de bon cœur ce qu’il lui offre ; mais il offre peu, ne croyant pas que le dieu veuille qu’on se ruine pour lui, et qu’on passe à faire des bouquets et des guirlandes le temps qu’il faut employer à soigner le troupeau. Le dieu ne blâme pas cet adorateur avisé ; seulement il l’oublie sans le vouloir, ce qui est un véritable trait de caractère humain. Sur la terre, et même dans l’Olympe, les cœurs prodigues attirent plus que les cœurs économes. Le dieu répare son oubli et accorde à Ésope le don de la fable : mais la fable s’est ressentie de l’oubli du dieu. Elle n’est pas philosophique et ne vise ni à la profondeur ni à l’élévation ; elle n’est point oratoire et ne cherche pas l’éloquence. Elle n’est pas héroïque ; elle est un peu satirique, mais sans aigreur ; elle est prudente et avisée comme son inventeur ; elle est une des parts de la sagesse, mais c’est la dernière.

La fable, à cause peut-être de son origine orientale, en-

  1. Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane.