Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/683

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seigne donc à l’homme à se résigner au joug plutôt qu’à le secouer ; elle apprend à éviter le danger plutôt qu’à le braver. Prenons pour exemples de ce caractère de la fable quelques-uns des apologues du vieil Ésope. J’en choisis un que la Fontaine n’a pas traduit : le Lion, l’Âne et le Renard.

« Le lion, l’âne et le renard, s’étant associés, allèrent chasser ensemble. Ayant pris beaucoup de gibier, le lion ordonna à l’âne de faire les parts. Celui-ci fit trois parts égales et dit à ses associés de choisir. Sur quoi le lion irrité tua l’âne. Ensuite il dit au renard de faire le partage. Celui-ci fit une grosse part de tout le gibier et ne se réserva que très-peu de chose. — Mon cher ami, dit le lion, qui t’a appris à si bien faire les partages ? — L’aventure de l’âne, répondit le renard. Les sages prennent leçon du malheur des autres. »

Voilà la sagesse de l’Orient : le respect de la force, la résignation timide ou rusée de la faiblesse. L’âne est simple ; il a naturellement l’idée de la justice : il fait donc un partage égal du butin[1]. Il eût été philosophe qu’il eût fait, par respect du droit, ce qu’il fait par instinct d’équité. Mais le renard, qui n’a ni bons instincts ni bons principes, au lieu de s’irriter de la mort de l’âne, ne songe qu’à se pré-

  1. Cet animal, simple et sans art,
    Fit trois parts du butin avec tant de justesse
    Qu’on n’eût su laquelle choisir ;
    Scrupuleuse délicatesse,
    Qui ne fit nullement plaisir
    Au superbe Lion. . . . . . . .

    (Richer, le Lion, l’Âne et le Renard, Richer, né en 1685, mort en 1768.)