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Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/75

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répondait assez froidement, il faut en convenir, à ces soins multipliés. Si j’en crois une anecdote conservée dans la famille de son tuteur, il ne se distinguait point, dans ses fonctions de clerc, par l’assiduité. Il eut, un matin, la mauvaise fortune de se rencontrer, dans une rue de Paris, face à face avec l’avoué qui était son patron, et qui paraît avoir été en même temps un excellent homme ; car il se contenta, pour tout reproche, de dire à son clerc négligent, qui avait soudain rougi jusqu’au front : « Ah ! monsieur Scribe, je suis enchanté de vous voir…… j’avais à vous parler depuis fort longtemps Je voulais vous dire que si jamais il vous arrivait, par quelque heureux hasard, de passer dans mon quartier, vous me feriez plaisir de monter à mon étude. » — « Monsieur, murmura Scribe, j’y allais. » Il y alla, en effet, ce jour-là. Mais ce jour devait avoir peu de lendemains, et le spirituel avoué ne songea même plus à s’en plaindre, ayant reconnu, comme il le disait lui-même, que la présence de Scribe dans son étude équivalait à l’absence de deux clercs.

Cependant l’explication des tiédeurs du jeune clerc ne se fit pas attendre. En l’année 1811, son nom retentissait pour la première fois dans une de ces enceintes dont il devait rester si longtemps l’écho familier et glorieux. On venait de jouer, sur le théâtre de la rue de Chartres, un petit acte intitulé les Dervis, œuvre alerte et vive de cette plume qui prenait son vol. Tous les détails de cette soirée heureuse étaient demeurés présents au souvenir de M. Scribe, qui s’y complaisait ; il s’était associé, pour cette première campagne, un collaborateur, jeune comme lui, et tous deux s’enivraient délicieusement des bruits du succès, quand un vieil auteur, pareil à l’esclave antique, pénétra dans le groupe