Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/89

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scène se passe entre un ministre et un député, qui est son ami intime et qui en reçoit volontiers des faveurs, mais qui vote régulièrement contre lui pour rester indépendant et populaire.

Le ministre : « Nous avons pris tous deux, mon ami, des chemins différents, qui aboutiront peut-être au même but, moi marchant sur la calomnie et l’attaquant de front, toi tremblant à son approche, et courbant la tête pour la laisser passer… Soins inutiles ! Quelque bas que l’on s’incline, fût-ce même dans la fange, on l’y trouverait encore, car c’est là quelle habite ! et je te le prédis, mon pauvre Lucien, tu ne la désarmeras pas plus que moi… Tu as beau prodiguer les caresses et les poignées de main, t’abonner à tous les journaux, faire la cour à tout le monde…… »

L’autre l’interrompt fièrement : « Excepté au pouvoir ! » « Eh ! morbleu ! » reprend le ministre, « il y a peu de bravoure à attaquer le pouvoir aujourd’hui… Le courage serait peut-être de le défendre… et tu ne l’oses pas ! »

Scribe l’osait, Messieurs, vous le voyez, et ce courage était récompensé par une des plus belles inspirations de son talent. On ne peut donc en douter : la générosité, l’élévation, l’indépendance, s’alliaient chez Scribe à cette modération d’idées et de sentiments qui était le fond de son naturel, et qui faisait son accord parfaitement sympathique avec l’immense majorité de ses auditeurs.

Vous n’attendez pas, Messieurs, que je le suive plus longtemps dans sa brillante carrière. Je ne pourrais que signaler de nouveau les mérites littéraires et les qualités morales par lesquelles j’ai essayé de caractériser cet éminent esprit. J’omettrai, je le sais, quelques-uns de ses titres les plus vrais