Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teurs, enseigner, avant tout, qu’elle oblige ! Je crains fort, entre nous, que, chez un certain nombre, l’amour de la roture ne soit invétéré ; mais, tout au moins, j’espère que les esprits d’élite marcheront sur vos traces, encouragés par vos succès.

À propos du roman, de son histoire et de ses destinées, vous avez d’un coup d’œil embrassé des questions que je n’ose aborder. Il y aurait trop à dire sur de pareils problèmes. Autant que vous j’admire les créations vraiment nouvelles qui, de nos jours, ont enrichi ce genre de littérature, si modeste autrefois, aujourd’hui si puissant. J’accepte ses conquêtes ; je reconnais que, les domaines jusque-là réservés de la poésie, du drame, de l’histoire, de la philosophie, il en a franchi les frontières, souvent avec bonheur, parfois avec génie. Mais les vrais conquérants sont ceux qui se modèrent ; je voudrais donc que le roman, dans l’intérêt de sa gloire, et même aussi de nos plaisirs, fût un peu moins ambitieux. Vous parliez tout à l’heure d’un chef-d’œuvre, que vous nommiez, à bon droit, immortel : or savez-vous, sans compter beaucoup d’autres raisons, ce qui, pour moi, fait que Gil Blas est vraiment un chef-d’œuvre ? C’est qu’il consent de bonne grâce à n’être qu’un roman, à nous amuser sans fatigue, à nous donner tout simplement, dans un miroir légèrement moqueur, mais lucide et fidèle, le spectacle de la vie humaine.

Ce n’est pas à vous, Monsieur, que ce discours s’adresse. Dans la fiction romanesque, votre ambition se borne à charmer vos lecteurs, sans vous donner souci de réformer ce monde et sans faire le procès à personne, pas même à la société. Ce procédé peu vulgaire ne vous a pas porté mal-