Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/15

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– Je ne vous demande pas votre qualité et votre nom, reprit le fauconnier. L’hôte est sacré ; son secret est comme sa personne ; mais il ne faut point parler devant les enfants ; les enfants ont le sens droit, ils comprennent et devinent ; sitôt qu’on ouvre la bouche ils écoutent. Se taire est donc prudent. Moi, j’ai des cheveux gris, je n’ai rien vu, rien entendu, rien compris.

– Vous êtes un brave homme ! s’écria impétueusement l’étranger. Mordieu ! je n’ai que faire de dissimuler avec vous. Vous ne vous êtes pas trompé, maître Guillaume, je suis…

– Plus peut-être que je ne suppose, se hâta d’ajouter le fauconnier, et c’est pourquoi je prends la liberté de vous interrompre, afin de n’en pas savoir davantage. Que vous soyez Espagnol ou Français, vous n’en êtes pas moins un voyageur remis à ma garde. Ce toit vous protège. Si vous êtes de ceux qui ont tiré l’épée contre leur roi et leur pays, c’est à Dieu de vous juger. Je fais mon devoir ; puissiez-vous dire : Je fais le mien.

Le faux marchand baissa les yeux sous le regard serein de l’artisan, et la rougeur passa sur son front comme un éclair. Mais reprenant aussitôt sa sérénité, il salua de la main le vieux fauconnier.

– Soit, mon brave, je ne chargerai pas votre mémoire d’un souvenir ; mais, par le nom de mon père, je n’oublierai ni le vôtre, ni ce que vous faites.

Deux heures se passèrent, et l’étranger partagea le dîner du fauconnier, à l’aise, comme sous la tente d’un soldat, ou dans l’hôtel d’un grand seigneur. Puis, deux autres se passèrent encore ; à la fin de la quatrième, l’inquiétude rapprocha la pointe de ses sourcils. Il marcha vers la fenêtre et l’ouvrit, prêtant l’oreille ; la nuit était venue, et la route était sans bruit. Bientôt il sortit de la maisonnette et s’avança vers la porte du jardin. Le père Guillaume le suivit. Ainsi que l’obscurité, le silence était profond.