Rose et Cornélius sentaient fléchir sous leurs reins leurs montures épuisées ; le sang suintait de leurs naseaux enflammés, l’élan était moins rapide et plus saccadé ; mais au détour d’un tertre, au pied duquel passait un chemin, on vit la mer mouiller de ses grandes lames le sable gris. La Déroute fouetta son cheval et arriva comme la foudre sur le rivage. Une barque à flot, soulevée par la marée qui montait pesamment, se balançait sur le dos des vagues.
– À qui la barque ? fit-il en posant le pied sur le rivage.
– À moi ! dit un vieux pêcheur roulé dans sa cape de gros drap brun.
– Ouvre ta voile au vent ; voilà deux gentilshommes qu’on poursuit. Veux-tu les sauver ? le veux-tu ?
Le vieux marin et son fils sautèrent dans la barque et coupèrent l’amarre d’un coup de hache. Belle-Rose et Cornélius, emportés par leur élan, plongèrent dans l’eau qui jaillit autour des chevaux. D’un bond ils se jetèrent dans la barque ; la voile se gonflait sous le vent du soir, elle s’inclina mollement sur la vague, la proue tournée vers la haute mer se releva légère comme un goëland et fendit l’eau qui la berçait. En ce moment le cheval de Bouletord pétrissait de ses pieds le sable humide et battait le flot qui se brisait contre son poitrail ; un élan le porta plus loin, mais une lame le souleva et le fit rouler sur la plage. La Déroute, debout à la poupe de la barque, ôta son chapeau et salua le brigadier d’un éclat de rire. Bouletord regarda autour de lui ; aucune barque n’était là. Ses hommes à cheval l’entouraient, allant et venant éperdus. Bouletord vit un mousquet aux mains de l’un d’eux, il l’arracha et coucha en joue le bateau fugitif. La silhouette noire des trois passagers se dessinait sur l’horizon, où le soleil venait de disparaître comme un roi dans un lit de pourpre et d’or. Le canon resta immobile un instant comme s’il avait été soutenu