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Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/51

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M. de Nancrais était un homme de grande taille, sec, nerveux ; ses yeux gris, enfoncés sous d’épais sourcils bruns, séparés à leur pointe interne par une ride profonde, brillaient d’un feu extraordinaire ; une longue moustache fauve coupait en deux son visage amaigri par les fatigues de la guerre ; il avait, en parlant, l’habitude d’en tordre la pointe aiguë entre ses doigts sans quitter du regard la personne qu’il interrogeait. Ce regard, net et vif comme une pointe d’acier, semblait descendre jusqu’au fond des consciences, et les plus endurcies se sentaient troublées par sa fixité. M. de Nancrais avait deux ou trois ans de moins que son frère, et paraissait être son aîné de trois ou quatre. L’habitude du commandement, et surtout son caractère naturellement impérieux, donnaient à toute sa personne un air d’autorité qui imposait au premier coup d’œil. Il fallait s’arrêter aux traits du visage pour trouver quelque ressemblance entre les deux frères. Il n’y en avait aucune dans les physionomies. M. de Nancrais tenait la lettre de M. d’Assonville à la main lorsque Jacques entra. Il le considéra deux ou trois minutes en silence.

– Tu arrives de Saint-Pol ? dit enfin le capitaine.

– Il y a juste un quart d’heure.

– D’après ce que mon frère me marque, tu as l’intention de te faire soldat ?

– Oui, capitaine.

– C’est un métier où il y a plus de plomb que d’argent à gagner.

– C’est aussi le plus honorable pour un homme de cœur qui veut se pousser dans le monde.

– Ça te regarde ; mais je dois te prévenir que dans l’artillerie, et dans ma compagnie surtout, on est esclave de la discipline. À la première faute, on met le maladroit au cachot ; à la seconde, on le fait passer par les verges ; à la troisième, on le fusille.

– Je tâcherai de ne pas aller jusqu’au cachot, afin d’être toujours loin du mousquet.