Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/63

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de bonne mine. Un instinct secret, l’instinct du cœur sans doute, me dit que ce jeune seigneur ne venait point à Malzonvilliers pour affaires de commerce, et je sentis mon cœur se serrer. Ce jeune seigneur avait l’esprit très vif, tourné à la galanterie, railleur, plaisant dans ses propos et tout à fait l’air d’un homme de bon lieu ; mais on voyait qu’il parlait avant de réfléchir, et qu’il était surtout occupé de plaisirs et de choses futiles. Il resta huit ou dix jours au château, pendant lesquels il ne me fut guère possible de me promener avec Claudine, si ce n’est parfois le matin, de très bonne heure, ou le soir, tandis que l’étranger rendait visite à la noblesse de Saint-Omer. Au bout de ce temps, le gentilhomme partit ; je respirais à peine que déjà un grave seigneur le remplaçait au château. Celui-ci était pour le moins aussi sédentaire que l’autre était ingambe ; il avait l’humeur douce, égale et bonne, l’air d’une bienveillance extrême, et, quoique souffrant d’anciennes blessures, le maintien noble et aisé. Ses discours étaient enjoués, mais toujours honnêtes, ses manières polies, et l’on se sentait attiré par l’expression de sa physionomie en même temps que saisi de respect à la vue de ses moustaches grises et des cicatrices qui sillonnaient son front chauve. Ce seigneur se nommait M. d’Albergotti. Il était marquis, appartenait à une famille d’origine italienne qui avait tenu un rang considérable dans le Milanais, et portait le cordon de Saint-Louis. M. d’Albergotti avait beaucoup voyagé ; sa conversation était intéressante, sa bonté me touchait, et j’éprouvai quelque peine quand il quitta Malzonvilliers pour se rendre à Compiègne, où M. de Turenne le mandait. Il n’était parti que depuis la veille, lorsque mon père, me prenant sous le bras, me fit descendre au jardin. Vous savez que ce n’est pas son habitude ; aussitôt qu’il a une heure sans emploi, il s’enferme dans son cabinet, et tout aussitôt une ou deux feuilles de papier sont couvertes de chiffres. Je le regardai étonnée : il se mit à rire.