Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/308

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L’héritier du Majorat s’était mis à la fenêtre, et dit au cousin :

— Elle a l’air de dormir maintenant ; cet affreux accès est passé.

Le lieutenant continua :

— Si vous aviez vu Esther, il y a seulement un an ; qu’elle était belle ! À cette époque, le fils d’un de mes camarades de régiment s’engagea dans les dragons. C’était l’unique trésor de sa mère depuis qu’elle avait perdu son mari dans une escarmouche, combats souvent plus dangereux que les grandes batailles ; je vis bien comme elle l’adorait, car elle donna jusqu’à sa dernière chemise pour l’équipement de son fils ! elle ne pensait pas que c’était peut-être son linceul qu’elle lui donnait là. Mais le garçon était étourdi, je m’en aperçus bien vite à sa manière de monter à cheval ; il voulait toujours faire caracoler sa bête sans se préoccuper des gens qui passaient à côté de lui. Bref, il devint amoureux de la belle Esther, et Esther de lui ; mon jeune homme veut s’introduire un soir chez elle ; mais les pauvres Juifs, que nous chassons de nos rues, pensent qu’ils peuvent bien chasser les chrétiens des leurs ; ils tombent tous sur lui, et, à leur tête, la vieille Vasthi qui le laissa pour mort. L’affaire se répandit ; les officiers ne voulaient plus servir avec le jeune