Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/170

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

gâteaux que disposèrent, sur la nappe, les laquais à la livrée brune des Praxi-Blassans. Ensuite, la tante Aurélie continua d’expliquer, pour quelques dames, sa peine à louer un logis ayant vue sur le parcours du cortège royal. On avait dû faire plusieurs démarches pour obtenir cet appartement d’un bonapartiste furieux, parti vers le Cotentin, où il fuyait le spectacle des armées russe et prussienne maîtresses à Paris. Encore avait-il fallu jurer qu’on ne fixerait au balcon ni drapeau, ni bannière, ni pancarte, ni banderole. La tante montrait aux murs de la chambre des sabres et des fusils ramassés certainement sur les champs de bataille, un chapeau d’infanterie troué par un biscaïen, un guidon mi-partie jaune et vert qu’un monsieur déclarait appartenir aux uhlans autrichiens. Le comte, renversé dans le fauteuil Voltaire, et la main sous le jabot, prétendait que ces couleurs étaient suédoises : elles avaient dû être arborées à Gross-Beeren contre les troupes du duc de Reggio. Alors, entre les dames et les messieurs, les propos prirent un ton assez vif : ― le diable soit de ce fâcheux Bernadotte ! Savez-vous que s’il avait un peu mieux conduit sa barque, en fin de compte, je pense que sa majesté ne rentrerait pas encore aux tuileries cette fois, hein ? ― l’empereur Alexandre est infecté de jacobinisme. ― moi, je l’ai entendu, ce tsar… je l’ai entendu, rue saint-Florentin, proposer Bernadotte à Talleyrand parce que, disait-il, un général qui avait refusé à Sieyès de faire le 18 brumaire devait être sympathique aux français. ― cet autocrate pue l’esprit de Mme De Staël et de son genevois. ― Dieu est témoin que si Bernadotte avait su le prix de Talleyrand et l’eût acheté, les bourbons n’auraient pas eu à franchir le détroit… par bonheur, il a cru le