de si bonne heure… nous poursuivons. Devant la mairie, un peu plus loin, le poste avait pris les armes. Nous recommençons la parade… un seul des gardes nationaux répond : " vive le roi ! " les autres nous lancent mille brocards impossibles à redire devant les dames… " vivent les bourbons ! Criai-je… ― quels bourbons ? Me demande un caporal. Qu’est-ce que c’est que cette bête-là… ? " et voilà le tambour qui entonne à plein gosier la chanson sur la Du Barry, vous savez : " la belle bourbonnaise… ah ! Qu’elle était bien aise ! " et toute l’escouade d’approuver. Alors le caporal nous invite à passer notre chemin, parce que " ce n’est pas l’instant de rire quand l’ennemi entre dans la capitale. " deuxième succès !… nous poussons nos chevaux sur le boulevard. Avez-vous vu cette foule, ces paysans de la banlieue qui fuyaient les cosaques et qui avaient amené leurs chariots et leur déménagement dans les cours de toutes les maisons ? Ils piétinaient en masse, derrière les bornes du boulevard, la mine longue… cette fois, je change et je crie de ma plus belle voix : " à bas le tyran ! " pour mémoire : je n’avais pas endossé mon uniforme : on ne sait jamais ce qui peut arriver, et je n’avais pas envie de finir mes jours dans la plaine de Grenelle… quelques braves gens répètent avec moi : " à bas le tyran ! " mais voilà Oscar De Doutteville qui entreprend de proclamer le roi avec son ton de fausset. Aussitôt un marchand de gâteaux s’explique en répondant : " à bas le tyran moscovite ! " c’était un bénêt qui n’entendait rien à nos principes… nous passons, criant, de-ci, de-là. Mais n’éveillons aucun écho. La populace nous examinait stupidement. Depuis vingt-quatre ans elle n’avait plus de nouvelles de ses rois, sinon par la caricature… et encore !… à la hauteur des bains chinois, nous saluons la cavalcade du marquis de pas, qui se joint à nous, et nous confie que " çà n’a pas l’air de mordre ". Et, comme on rencontre partout des gens
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