Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la victoire suffirent au collégien ; il se louait trop du résultat de ses hardiesses pour s’occuper mieux des victimes. C’était son intelligence qu’il courtisait, cette nuit-là, et lui-même, qui avait découvert le moyen du bonheur. Il tremblait de subir une déconvenue en vérifiant par des galanteries plus expresses les bonnes volontés sentimentales. Quelques heures plus tard, ne trouverait-il pas au château des ducs l’accueil de quelque servante ? Pour l’heure, assis dans le fauteuil de paille, devant la longue mèche charbonneuse de la chandelle qui coulait, il ne pensa même point à la couper avec les mouchettes de cuivre mises sur le plateau. La glace encastrée parmi les moulures du trumeau le mira trop heureux, dans le manteau à l’espagnole qu’il laissait autour de son jeune corps mollement accoudé contre le marbre de la commode. " me vit-elle ainsi, la jeune fille ?… me vit-elle triste et noble et sous les plis de cette sombre étoffe qui me sépare de vulgarités ? Crut-elle au deuil que porte mon visage d’enfant déçu par une sagacité précoce ? A-t-elle deviné les angoisses sataniques du doute et les désespoirs de mon front où se lit l’épitaphe des libertés abattues ? A-t-elle contemplé la forme de mon être immobile comme un tombeau, et d’où sort brusquement la voix de quarante siècles lassés d’espérance ?… c’était bien à ce jeune homme-là que s’adressait le bref amour de son regard azuré, au jeune homme de ce miroir glauque et fendu comme un mur de ruines… oui, mon image lui plut ainsi. Quelle langueur admirable chargeait ses longs cils ! Ses mains étaient de celles qui touchent les harpes des archanges… les moirures changeantes de sa robe la rendaient pareille à l’ondine d’une rivière en course, qui passe sous l’ombre des feuillages, puis dans les clartés du soleil, alternativement. La fleur de ses lèvres serait exquise à baiser… comme