Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/535

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— Je le souhaite, monsieur, et vous salue, ― répondit gravement le frère.

Il ne se révoltait pas contre la puissance de cet homme. Il ne voulut même pas arracher les breloques et la montre pour les lui jeter à la face… Il quitta simplement l’hôtel avec sa mère et sa tante qui une fois en calèche, s’évanouit. On la transporta dans la petite maison de l’Allée des Veuves ; et l’on eut quelque mal à lui faire reprendre ses esprits. Alors elle ne parla plus, resta telle qu’un mince cadavre de vieille, en robe de soie grise, en écharpe noire ; un petit cadavre masqué de joyaux multicolores par les mains qui voilaient la déchéance de son visage. Sur le tard, les deux femmes regagnèrent Saint-Cloud.

Resté seul, Omer médita la parole de Mme Héricourt : « Tu vois bien : il n’y a que Dieu… » Oui, certainement il ne restait que les magnifiques illusions divines. Hommes, femmes, lui parurent de rusés criminels, ou des brutes violentes et maîtresses. Le général Héricourt lui semblait un travestissement de ce beau Lucifer, vainqueur des âmes, qu’à tant de vitrines les gravures montraient assis sur la cime d’une roche abrupte, enclos dans ses ailes de nuit et méditant, les doigts contre le rire arqué de sa bouche sardonique. L’amour était son œuvre : mensonge, viol et trahison. La gloire était son œuvre : vol, meurtre et jactance. Omer condamnait son désir d’Aquilina et les affres de sa passion quand il se fut agenouillé devant le crucifix pour se livrer à Dieu, à son omnipotence : elle finira par régner sur le monde et par chasser Satan de tous les cœurs.

Le surlendemain, il reçut la visite matinale d’Édouard : Omer s’attendait à le voir abattu par le chagrin, défait près du suicide. Au contraire, le cousin exhala sa fureur d’avoir sollicité l’affection d’une sotte, d’avoir renoncé un moment pour elle à la brillante carrière