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LE SERPENT NOIR

deux ou trois mois, fréquenté le laboratoire de chimie organique où je remplissais les fonctions de préparateur. Taciturne et doux, joli garçon, presque imberbe et les cheveux longs, il était souvent en butte à nos quolibets d’étudiants paillards pour la sévérité de ses mœurs « province », comme nous disions. Plusieurs fois il vint dans ma chambre, rue des Écoles, au cinquième, me demander le sens de certaines phrases grecques. Il étudiait la peste antique chez les auteurs hellènes et latins. Reçu docteur, il nous quitta. Je sus dans la suite qu’on l’avait embarqué sur un croiseur, comme médecin en second. Puis je me mariai, j’allai vivre en Flandre, dans la quincaillerie de mes beaux parents. J’engraissai. J’oubliai mon Goulven. Beau coup plus tard, environ dix-huit mois avant qu’on parlât de sa notice à l’Académie de Médecine, pendant un voyage d’affaires pour les iodes, je le retrouvai dans un café de Nantes. Il ne parut guère désireux de se lier davantage, et m’annonça seulement sa prochaine campagne dans le golfe du Mexique. Il espérait y recueillir des observations sur la fièvre jaune et le typhus. Je voulus l’emmener en aimable compagnie, dans un bon endroit. Il allégua qu’il était marié, ce qui fit éclater de rire mes gracieuses Nantaises. L’usure et la coupe démodée de ses vêtements me suggérèrent plutôt qu’il ne pouvait subvenir aux dépenses accessoires de la petite fête. Et je me souvins qu’à Paris il repoussait, par scrupule excessif de pauvre, les avances de celles qui voulaient chérir gratuitement sa belle figure de chevalier moyen âge, et sa jeune sveltesse. Je le laissai donc partir.

Telles étaient mes impressions de mémoire lorsque son nom fut prononcé avec tant de haine par ses