Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/342

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çait, sa répugnance devenait de la haine contre le vendeur d’oranges. D’une voix sourde, les poings crispés, il dit :

— Sayed a voulu que je montre mon derrière…

Hawa fronça les sourcils

— Et d’abord, fit-elle, je ne veux pas qu’on dise du mal de Sayed… Tu entends, Sidi ?

Goha ne répondit pas. Mais cette phrase et la manière surtout dont elle avait été dite lui causèrent une douleur comme il n’en avait jamais éprouvée. Ils gardèrent l’un et l’autre le silence.

Lorsqu’ils se couchèrent, la négresse et Goha étaient réconciliés, mais ce dernier ne dormait pas. Les yeux ouverts, il voulut songer à son enfant, à Hawa, à Sayed, il voulut lier entre ces êtres et lui des rapports. Il n’avait pas encore le sentiment que la fillette était sienne. Ce n’était qu’une petite chose dont il avait la garde. En fouillant son cœur, il s’aperçut qu’il avait peur pour elle, rien que peur. Il pensa à Sayed. Cet homme l’avait persécuté, mais avec une telle franchise brutale que Goha s’était toujours senti en confiance avec lui. Depuis deux jours le vendeur d’oranges s’insinuait dans sa vie. Ce n’était plus, comme jadis, un coup de pied dans le dos et un gros éclat de rire qui les libéraient l’un de l’autre. Maintenant, il sentait Sayed sans cesse autour de lui. Ah ! comme il eût préféré à cette menace constante, à cette présence insidieuse, une scène violente, réelle. Il regretta leurs courtes luttes dans la rue, les coups de poing échangés, cette dépense de forces en plein jour, dont il revenait