Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/343

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les membres meurtris. À cette heure, il avait le corps intact et l’âme lourde. Il s’aperçut qu’il avait toujours aimé le vendeur d’oranges malgré ses violences et il s’effara de cette découverte. Désormais il serait l’esclave de cet homme dont il comprenait tout à coup la puissance. Son unique sauvegarde était Hawa. Il songea à Hawa. À chacune des crises qu’il avait traversées, elle l’avait soutenu de son sourire tranquille. La négresse dormait couchée sur le dos. Il s’apprêtait à la réveiller, pour lui adresser la phrase habituelle :

— Hawa, tu ne veux pas causer un peu ?

Il n’osa pas et, aussitôt après, il fut épouvanté de n’avoir pas osé.

— Hawa, Hawa, balbutia-t-il, mais d’une voix si basse que lui-même ne s’entendit pas.

Il eut peur d’une chose qu’il était sur le point de découvrir et secoua sa tête comme pour brouiller ses idées. Il reprit ses méditations. Sayed, son enfant… Il devait se défendre contre l’un et protéger l’autre. Que la tâche serait facile si Hawa voulait être pour lui ce qu’elle avait été autrefois ! Appuyé sur la large épaule de sa nourrice, il aplanirait tous les obstacles. Rien ne lui résisterait. Et il imagina des combats splendides où il materait d’un tour de main ses ennemis, Il avait entendu un conteur public faire le récit des aventures d’Antar. C’étaient des aventures de sa propre vie. C’était lui qui avait, dans son enfance, brisé la gueule d’un lion en lui écartant les mâchoires, lui qui, un jour de bataille, avait