Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/353

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patissante… Maintenant laisse-moi… J’ai à réfléchir… Tu n’es capable de rien.

Mais Goha voulait satisfaire sa nourrice, lui donner le fruit de son expérience. Il reprit très vite :

— Son front était dur… Sa robe était jaune…

Hawa avait dressé la tête.

— Jaune ?

— Jaune.

Elle s’acheta une robe jaune. Mais l’attente de Goha ne se réalisa pas. Il n’y eut aucune familiarité entre lui et sa nourrice.

Il avait peur d’elle, craignait de la mécontenter, de s’attirer des remontrances. Il la suivait sans cesse du regard, pour prévenir ses désirs, pour obéir à ses ordres dès qu’ils étaient formulés. La négresse n’avait que rarement recours à lui. Alors, il se mettait sur son chemin ; il lui enlevait un grain de poussière, un cheveu accroché à sa robe. La négresse le laissait faire sans rien dire. Une fois qu’il se livrait à ce manège, il renversa un guéridon et brisa une gargoulette.

Les seules minutes heureuses que vécut Goha durant ces longues semaines étaient celles où, de loin, il suivait des yeux la silhouette d’Amina, allant et venant dans la rue, descendant les escaliers puis les remontant. La Syrienne quittait peu sa chambre. À des heures régulières, elle faisait ses provisions. Goha la voyait revenir portant dans le creux de sa jupe relevée des oignons, du pain, des tomates, des mandarines, des melons. Plus tard elle apparaissait avec deux petites gargoulettes qu’elle