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remplissait à la fontaine, dans la cour de la maison. C’était une amie, celle là, Goha le savait. Pourtant, depuis l’entrevue lointaine où ils avaient évoqué la cheika, plus jamais ils ne s’étaient parlé.

Avec une obstination morne, Goha se mettait en quête d’une affection, d’un appui, ou seulement d’un bruit de voix pour se distraire de lui-même. Souvent, il s’approchait des prostituées, il s’asseyait à quelques pas d’elles, aussi près que possible, n’osant jamais toutefois se mêler franchement à leur groupe. Si elles affectaient de ne pas le voir, il devenait triste ; si elles le regardaient, il avait honte. Ces filles, qui l’avaient accueilli tout d’abord avec un débordement de joie, le traitaient maintenant avec dégoût. Le connaissant d’après la légende, elles croyaient trouver en lui un sot amusant, presque un bouffon. Sa bonne mine avait confirmé cette croyance. Mais leur illusion fut vite dissipée. La compagnie du nouveau venu leur parut ennuyeuse dès le lendemain de son arrivée et bientôt, quand il perdit sa bonne humeur, sa fraîcheur, sa santé, elles s’aperçurent que loin d’être amusante sa sottise était lugubre.

À deux ou trois reprises, elles se montrèrent cruelles à son égard. Elles le chassèrent de leur présence en lui arrachant son turban et en lui lançant des ordures à la face. Elles avaient pour lui de la répugnance, une haine physique dont le principe était la déception mais qui s’était vue singulièrement fortifiée le jour où l’une des prostituées avait dit, au hasard, qu’une tête comme celle de Goha portait malheur. Le mot avait été