nements avaient accumulé d’inconnus effrayants, de déboires, tout ce dont il avait pâti et qui semblait avoir glissé sur lui comme sur une pierre s’était au contraire déposé dans le fond de son être, Jusqu’ici, de temps en temps, le choc des circonstances avait évoqué dans sa mémoire telle ou telle vilenie. Mais c’était autre chose maintenant. Le dépôt d’amertume s’était soulevé tout entier. Il avait aimé Waddah-Alyçum ; on l’avait pris et on l’avait jeté dans le Nil… Il avait aimé la cheika ; des hommes à perruque l’avaient emportée… « Tu es un idiot… Tous me disent : tu es un idiot… Eux aussi sont des idiots et ils me montreront leur derrière… Ha ! Ha ! Montre-moi ton derrière, Sayed… Et toi, Khalil, vite, à côté de Sayed… Et vous mes sœurs ? allez, allez, je suis pressé ! Vos derrières, je vous prie… » À mesure que le tableau s’allongeait, il se claquait les cuisses avec des rires hachés. « À ton tour, Hadj-Mahmoud… Oui, mon père, à ton tour… Si tu veux le conserver, montre-le… Et toi, le porteur d’eau, et toi, le marchand de fritures !… » On avait abusé de lui à cause de sa patience, à cause de son humilité. Les hommes lui avaient fait croire qu’à leurs fronts rayonnaient des clartés dont lui-même était dépourvu. Il était plus grand qu’eux et sa patience était à bout. Ainsi sa fille… Qui avait tué sa fille ? Qui avait fracassé le crâne de sa fille ? Un jeune effendi passait. Goha fixa ses mains d’un air terrible. Non, ce n’était pas lui… ? Il se souvenait maintenant… Il s’était endormi sur l’escalier. Quand il avait ouvert les yeux, sa fille gisait
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