Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/373

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— Il a le museau d’un chien et les oreilles d’un chien, dit un autre.

— Un chien, c’est évidemment un chien, fit un troisième.

Goha avait dépensé ce jour là ses dernières ressources d’énergie. Le long du trajet de la fumerie au désert, il avait pu encore, stimulé par la terreur, se débattre contre ces inconnus. Mais maintenant il était à bout. Il regarda les fumeurs ne sachant quoi dire, car il ne savait pas ce qu’on lui voulait. Quant aux fumeurs, ils agissaient sans conviction. Ils ignoraient eux aussi ce qu’ils avaient à faire et paraissaient se conformer à un rôle ennuyeux dont ils auraient oublié la fin. Ils hochaient la tête, ricanaient…

— Regardez… Par Allah ! il a des crocs de chien !

— Je ne suis pas un chien, fit Goha d’une voix lasse… Faites ce que vous avez à faire et laissez-moi dormir…

Il était fatigué de tant de monotonie, de tant d’insanité. Dans chacune des phrases, dans chacun des gestes des hommes qui l’entouraient, il sentait le vide. Il n’avait plus aucune crainte, il n’avait plus de haine. Ce qu’il éprouvait, c’est un sentiment semblable à du dégoût et à de la pitié. Mais n’avait-il pas déjà vécu cette minute ? L’impression de vide qui ce soir émanait des fumeurs, tous les hommes qu’il avait rencontrés dans la vie la lui avaient donnée. Ce qu’ils faisaient n’était jamais l’expression d’eux-mêmes. Tous ils agissaient sans volonté : par bêtise et par désœuvrement.