Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/374

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— Si tu remets le pied dans El-Kaïra, nous jetterons dans le Nil ta carcasse de chien galeux.

Mais Goha n’écoutait plus. Il s’était affaissé sur le sable. Soudain il se rendit compte que le silence s’était fait autour de lui. Une fine brise glissait sur son crâne rasé et gonflait sa houppe. Il leva la tête. Tout était calme. Quelques mausolées se détachaient blancs dans la nuit lunaire. Il se coucha sur le dos, allongea avec précaution sur le sable ses membres meurtris…

Il reprit conscience de lui-même en s’apercevant qu’il avait faim. Depuis longtemps déjà il avait les yeux ouverts. Il faisait plein jour.

Des goûts de mets favoris flottaient dans sa bouche et lui montaient au cerveau. Alors il se mit à parler tout haut :

— Est-ce que tu aimes les cailles au riz, Goha ? …

— Oui… Je les aime.

Il reprit :

— Est-ce que tu aimes un agneau tendre comme une pistache, Goha ?

Ses idées confuses semblaient crier toutes à la fois. Il se trouvait comme au milieu d’une assemblée de personnes bruyantes, et, dans le tumulte, il s’efforçait de placer un mot.

— Est-ce que tu aimes les bons plats, Goha ? les bons plats remplis jusqu’aux bords ? hurla-t-il… Et au bout d’un silence il murmura : Alors, mange, mange…

Son cerveau qu’exaltait un frénétique besoin d’abondance, roulait, comme de gros nuages, des monceaux de viande.