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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

réconfortée, fit des recommandations pressantes :

— Mon fils, dit-elle. Prends garde au coffret. Je te le confie.

Et Mahmoud accentua :

— Il renferme des choses précieuses.

— Nous sommes en retard, glapit Hawa. Nous n’arriverons jamais !

— Partons, dit Mahmoud, et toi, reste, mon fils.

Goha ne se plaignit pas de cet injuste traitement. Peu lui eût importé que son attente se prolongeât jusqu’au lendemain. Les heures s’écoulaient, sans lui laisser le souvenir de leur durée.

Le temps passe. On dit à Goha : « Le temps passe » et lui ne comprend pas, car il ne voit rien passer. On dit à Goha « Notre heure viendra », et lui, dans le ciel constamment bleu, ne trouve rien d’inquiétant et ne voit rien venir. Les hommes qu’il interroge l’entraînent en face d’une montre « Vois-tu, lorsque cette petite aiguille a fait le tour du cadran, une journée a fui. » Goha dit : « Est-ce donc là le temps et quel est son effet sur moi ? L’aiguille tourne sans me toucher. Elle ne m’importe pas plus que la roue du chariot qui tourne. » On lui dit : « À chaque tour de roue, à chaque parole que tu prononces, le temps passe. — Et si je me tais ? — Le temps passe quand même. — Pour les autres, mais non pas pour moi. — Pour toi et pour les autres. — Et si je vais dormir dans le désert ? — Le temps passerait, car dans ta poitrine ton cœur battrait encore. — Et si j’arrêtais mon cœur ? — Tu arrêterais le temps… »