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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

le pacha de Stamboul destitué. Aly-Bey n’est pas comme les autres… C’est un vrai chef.

Plus loin deux juifs, aux longs cheveux bouclés sur les oreilles, disaient à un rôtisseur qui tournait sa broche et hochait la tête en signe d’étonnement :

— Il était notre esclave il y a vingt-sept ans. Nous étions douaniers et nous l’avions fait venir du Caucase… Ah ! Dieu est grand ! Dieu est grand !… Voilà ce qu’il est devenu.

Le spectacle de ce peuple impassible attrista Cheik-el-Zaki « De longs siècles de servitude ont brisé tout ressort en eux », songeait-il.

À ce moment, il vit sur sa droite la vénérable mosquée Hassanein. De rares carreaux de faïence demeuraient encore le long des murs, vestiges des splendeurs passées. Le minaret tombait en ruines. Cheik-el-Zaki songeait « Partout la misère irrémédiable… Après avoir asservi le fellah, voici qu’elle monte à l’assaut de ces retraites pieuses… » Un soleil magnifique l’inondait ainsi que son âne. Il songea qu’après sa conférence, il retrouverait dans son palais une femme qui était à lui, entourée de richesses qui étaient à lui et il comprit qu’il s’était exagéré la misère de la vie.

Il fut interrompu dans ses réflexions par un appel répété à plusieurs reprises :

— Mon cheik !… mon cheik !…

Il arrêta sa monture. Goha le suivait à bout de souffle. Il s’était décidé, sur les exhortations de sa nourrice, à s’introduire auprès des hommes éminents de la cité pour rehausser sa qualité sociale.