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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/68

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AME

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même les transmet : d’où résulte dans les individus et dans les races une apparence de progrès.

Enlîn, si Aons voulez avoir résumée en un seul mot toute ma pensée sur les bêles, je vous dirai avec Leil)niz, qui, à cet endroit a écrit une parole de génie :

« Les bêtes sont purement empiriques, i' (Nouveaux

Essais, avant-propos.) Voilà ce que j’admets, voilà ce qu’ont admis à l’unanimité, on peut le dire, les grands docteurs du xiii' siècle « tradunt peripatetici omnes ». (Saint Bonaventm-e, Compendium theolog. vei-it., liv. II, cb. 2^.) Nous allons voir maintenant si cela suffit à expliquer, tout ce que l’on observe de plus élevé et de plus merveilleux dans l’activité animale.

6° « Il faut n’avoir jamais vu de près des animaux, dit un grand professeur de l’Ecole d’anthropologie de Paris ; il faut être aussi étranger à leurs modes de conduite, qu'à ceux des habitants d’un autre globe, pour nier les preuves d’intelligence qu’ils donnent à tout instant. Il faut n’avoir jamais vu un chien qui, suivant une piste, rencontre un carrefour, s’arrête, hésite un instant entre les trois routes qui s’ouvrent devant lui, cherche la piste sur l’une d’elles, puis sur la seconde, et, s’il ne la trouve ni sur l’une ni sur l’autre, s'élance sans nouvelle hésitation sur la troisième route, comme exprimant par cet acte même le dilemme que celui qu’il recherche ayant dû passer par l’une des trois routes, s’il n’a pris aucune des deux premières, a dû nécessairement s’engager dans la troisième. » (M. Mathias Duval, Le Baniinisme, p. 69.)

Si je n’avais une raison décisive de penser que l’honorable professeur est entièrement étranger aux œuvres de saint Thomas, je jugerais qu’il a emprunté l’objection que vous venez d’entendre au saint docteur. Voici, en effet, la difficulté que saint Thomas se pose dans un article de la Somme théologique qui a pour titre : Le choix raisonné convient-il aux animaux ? (i* 1^^, q. XIII, a. 3.)

« Comme le dit Âristote, c’est la prudence, Acrtu

intellectuelle, cjui fait que quelqu’un choisit à propos ce qui convient à la lin. Or, la prudence convient aux animaux… Cela tombe sous le sens. Et hnc etiam sensui manifestum videtur ; car il paraît dans les œuvres des animaux, des abeilles, des araignées, des chiens, un art et une industrie admirables. Le chien, par exemple, qui poursuit un cerf, s’il arrive à un carrefour. SI ad trivium venerit, cherche, en flairant, si le cerf est passé par le premier ou par le second chemin. Que s’il trouve qu’il n’y est point passé, aussitôt, sûr de lui-même et sans chercher davantage, il se précipite par le troisième chemin, jam securus per tertiam viam incedit non explorando : comme s’il se servait d’un dilemme, quasi utens syllogismo divisivo, dont la conclusion serait que le cerf est passé par ce chemin, puisqu’il n’est pas passé par les deux autres, et qu’il n’y a que trois chemins. Il semble donc que le choix raisonné appartienne aux animaux. »

Par où vous voyez que l’objection du docte professeur remonte au moins au xiii* siècle. Dès cette époque aussi, l’on savait la résoudre. « C’est un art infini, répondait saint Thomas, qui a disposé tous les êtres. Et c’est pourquoi tout ce qui se meut dans la nature s’y meut avec ordre, comme dans une œuvre d’art. C’est pourtjuoi aussi il paraît dans les animaux une certaine industrie et une certaine sagesse ; car. ayant été formés par une raison souveraine, ils ont leurs facultés naturellement inclinées à agir dans un bel ordre et suivant des procédés parfaitement appropriés. Aussi, dit-on parfois qu’ils sont prudents et industrieux. Toutefois, il n’existe en eux ni raison ni choix raisonné ; et, ce qui le prouve avec évidence.

c’est que tous les animaux de même espèce agissent toujours de même façon.

Il n’est nullement besoin, en effet, que notre chien raisonne pour poursuivre le cerf comme il fait. Accordons-lui seulement la connaissance et les appétits « empiriques). dont nous avons parlé, et la conduite que nous lui voyons tenir s’expliquera d’ellemême. Jugez-en :

Le voilà donc qui rencontre la piste d’un cerf. C’est une sensation de l’odorat qui la lui fait connaître. S’il a vu quelquefois des cerfs, cette sensation, en vertu de la loi d’association des perceptions, éveille en lui l’image d’un cerf ; et, s’il s’est trouvé à quelque curée, l’image et le souvenir de la part qu’il y reçut. Mais le fumet qu’il aspire dans le i^résent, ces images, ces souvenirs, que voulez-vous ? un chien est ainsi fait cju’il ne peut i)as ne point les trouver, les estimer délicieux, délicieux aussi, souverainement désirable l’objet qui les fait naître. Bien plus, il ne peut se défendre de le désirer et de lui courir sus. Il court donc, plein de désirs, et déjà plein de jouissances. Il suit cl’abord facilement la piste en criant gaiement, aux bois et aux échos, l’aise et les ardeurs qui le transportent. Mais voici que se présente le malencontreux carrefour. Une piste vague, et trois chemins en face. Que va faire notre limier ? Il va céder à un double instinct : instinct de quête qui le pousse à interroger, du nez, tous les passages frayés, tous les chemins par où le gibier a pu fuir ; instinct du mouvement le plus facile et le moins complicjué, qui va le déterminer à prendre le chemin dont il se trouve le plus près. Il s’y engage. De vague la piste devient nulle. Rien ne l’attirant dans cette direction, et le souvenir tout frais de la piste le sollicitant à revenir vers le carrefour, il y revient et s’engage de nouveau dans le chemin le plus rapproché. Le second chemin, suivant l’hypothèse, n’ayant point été pris par le cerf, il l’abandonne comme il avait fait du premier ; et, toujours poussé par son double instinct, il s’approche du troisième. Comme le cerf y a réellement passé, la piste cesse d'être vague et s’accentue nettement à mesure qu’il s’en approche ; ce qui fait qu’il se précipite sans hésitation, avec un redoublement d’ardeur et de vitesse, dans le troisième chemin.

Vous voyez combien naturellement s’interprète, suivant notre doctrine de la connaissance et du vouloir '( empiriques « de l’animal, cette conduite du chien au carrefour, qu’on nous opposait comme un signe évident que les chiens ont l’intelligence et le raisonnement. Soutenir ici que le chien a fait acte de raison et s’est servi d’un dilemme « syllogismo divisi'0 » c’est manifestement violer la règle acceptée de tous les philosophes : qu’il faut toujours expliquer les actions de l’animal par la cause psychologique minimum qui suffit à en rendre raison ; c’est tomber de plus en plus dans V interprétation anthropomorpliique.

Darwin argumente plus subtilement que ses disciples siu- ce sujet. Ses preuves ne sont pas plus solides, mais du moins elles sont spécieuses. Ecoutez-le :

« Quand, dit-il, un chien aperçoit un autre chien à

une grande distance, son altitude indique souvent qu’il conçoit que c’est un chien ; car, quand il s’approche, cette attitude change du tout au tout s’il reconnaît un ami… Quand je crie à mon chien de chasse (et j’en ai fait l’expérience bien des fois) :

« Hé ! hé ! où est-il ? » il comprend immédiatement

qu’il s’agit de chasser un animal quelconque ; ordinairement, il commence par jeter rapidement les yeux autour de lui, puis il s'élance dans le bosquet ie plus voisin pour y chercher les traces du gibier, puis enfln, ne trouvant rien, il regarde les arbres