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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/866

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ÉVANGILES CANONIQUES

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du Christ multipliant les pains, et du Christ instituant l’eucharistie ; d’autre part, il aurait adaiirablement figuré la relation de ce sacrement avec la mort violente du Sauveur, dont le souvenir est attaché à tous les récits de l’institution et va être rappelé dans le discours même sur le pain de vie, v, 62.

Enfin, peut-on croire que l’cvangéliste ait si bien vu dans le pain du miracle le pain de l’eucharistie, quand, au lieu de glisser légèrement, comme ses dcvanciers, sur le mélange des poissons, il mentionne au contraire ces poissons bien à part, à propos de la distribution à la foule, en paraissant leur appliquer spécialement cette réflexion que chaque convive en reçut autant qu’il désirait ?

Ces traits fondamentaux sont directement opposés à l’intention symbolique en question. A côté de cela, les menus symbolismes allégués sont bien insig-nifiants ; et ils ne sont d’ailleurs pas fondés. — « La Pàque était proche ", dit l’évangéliste : le caractère large et A’ague de cette indication montre qu’elle n’est pas inspirée par la préoccupation symbolique ; elle est tout à fait analogue aux notices chronologiques qui introduisent nombre de récits et ne présentent sûrement aucune signification spéciale : 11, 13 ; vii, 2 ; xi, 55. — Quant au jeune garçon qui tient les pains, il suilit de lire le passage des Rois (n° S41) pour voir qu’il ne peut correspondre au serviteur d’Elisée, mais seulement à l’homme de rencontre qui arrive de Baal-Shalisha : il n’apparaît donc en aucune façon comme le diacre de Jésus. Il est d’ailleurs visible que les auxiliaires du Christ en cette scène sont les apôtres eux-mêmes.

550. La marcIie sur les eaux (cf. n* S48). — Si le quatrième évangéliste, en relatant la marche sur les eaux, avait été préoccupé de montrer le Christ soustrait aux lois de la matière, en particulier à la loi de la pesanteur, il aurait, semble-t-il, insisté sur cette vérité essentielle, dans le discours sur le pain de vie, qui vient à la suite : le fait est qu’on n’y trouve rien de pareil. A comparer son récit avec celui des Synoptiques, on n’y découvre non plus aucune indication qui A-^ienne accentuer ou souligner ce point de A’ue.

L’idée du Christ soustrait à la loi de l’étendue paraît moins encore avoir occupé son esprit. S’il aA’ait tenu à laisser le Sauveur hors de la barque, n’aurait-il pas nettement déclaré qu’il se transporta à terre en un clin d’oeil, en faisant entendre qu’au contraire la barque dut continuer normalement sa course sur le lac ? Il est d’ailleurs inexact que le Christ johannique reste hors de la barque, et que celle-ci se trouve transportée au riA’age instantanément : le contexte du A’. 19, où il est dit que les disciples furent d’abord efTrayés, puis rassurés par Jésus, montre que le v. 20 doit se traduire, conformément au sens le plus ordinaire de l’expression, par : a Ils consentirent donc à le prendre dans la barque » ; la comparaison des Synoptiques et le contexte du a-. 18 montrent également que la barque n’atterrit pas précisément d’une façon subite, mais, la tempête ayant été apaisée, et aussitôt Jésus reçu parmi eux, elle s’en fut tout droit et sans retard au lieu où elle se dirigeait. Le récit johannique a donc exactement la même portée que le récit traditionnel : les deux symbolismes qui pou-A-aient aA’oir quelque aHinité aA’ec l’idée du Christ, aliment spirituel dans l’euciiaristie, n’ont sûrement pas inspiré notre relation particulière.

551. La guérison de l’a^eugle-né (cf. n° 243). — La diversité des symbolismes supposés à l’aveugle-né montre à l’avance que le caractère tyj)ique du personnage est loin de ressortir nettement du récit. — L’idée du judéochristianisme est, à première A’ue, séduisante : l’aveugle est Juif ; guéri par le Sauveur,

il est pris à partie par les pharisiens et mis hors la sj nagogue. Mai.-> il serait bien étrange qu’un théologien éphèsien de la fin du i"^"" siècle, qui ne paraît s’intéresser Araiment qu’au christianisme spirituel et intégral, eût ainsi mis en relief le christianisme lialestinien des premiers jours. Et puis que signifieraient les parents qu’il lui donne ? Ce ne peuvent être le judaïsme, puisqu’aussi bien que lui ils sont en butte à la persécvition des pharisiens. Et aurait-il songé à le représenter aeugle de naissance ?

Le personnage n’est pas mieux qualifié pour représenter la gentilité ? Il serait surprenant que, pour type du monde païen, l’auteur eût aouIu un Juif. Que n’a-t-il mis en scène un Gentil ? Cela ne dépassait pas son pouvoir d’invention. Au besoin, il n’aA-ait qu’à exploiter l’un des incidents synoptiques où figurent de tels personnages.

Contre le symbolisme de l’humanité s’élèA-ent des difTicultés analogues. L’éA’angéliste aurait-il dessiné un type du genre humain en traits si nettement indi-Aiduels ? Lui aurait-il donné des parents qui le reconnaissent expressément pour leur fils, qui refusent de répondre pour lui parce qu’il est en âge de s’expliquer lui-même ? Aurait-il mentionné ces Aoisins qui se demandent si c’est bien là l’infirme qu’ils aA aient coutume de voir mendier à la porte du temple ? Cela est au plus haut point invraisemblable. — Il est donc A-rai que le personnage central du récit n’offre aucun SA’mbolisme net et cohéx-ent.

Les détails de l’épisode ne conviennent pas mieux à l’interprétation en question. Le Uniment de boue marque si peu l’acte créateur du Verbe que l’aveugle, pour être guéri, doit au préalable se j)urifier de cette boue même, en allant se lavcr les yeux à la piscine.

— Que la piscine représente l’eau du baptême chrétien, celane ressort éA’idemment pas du nom de Siloc, qui signifie « Envoyé ». Alors même que, par cette expression, l’évangéliste songerait au Christ, EuA’oyé du Père, il n’y aurait pas d’allusion caractéristique au baptême. Il est d’ailleurs beaucoup plus probable que l’auteur entend, ici comme ailleurs (1, 38, ^i, 42 ; A-, 2 ; XIX, 14). fournir une explication littérale : Siloé paraît signifier « émission d’eau » ; les eaux delà fontaine étaient, en efïet, amenées par dériA’ation d’une source supérieure.

Les autres indications du récit contredisent positivcment la signification relative au baptême chrétien. — Jésus ne vient point avec l’aveugle à Siloé, ce n’est pas lui qui lui dessille les yeux, et ce ne sont pas davantage ses disciples, mais c’est l’aA’euglc qui, sur son ordre, va à la fontaine se laver pour recouvrer la vue. Il faudrait donc penser que le chrétien est le propre ministre de son baptême ? Pourquoi l’évangéliste n’a-t-il pas donné ce rôleaux apôtres du SauA’eur ?

— D’autre part, le Christ ne provoque l’aveugle à un acte de foi qu’après sa guérison opérée, dûment constatée, et même après son expulsion par les pharisiens : comment accorder cela aA’cc l’économie essentielle du baptême chrétien ? Le baptême ne précède pas l’acte de foi, il en est le couronnement et la consécration : comment se fait-il que le Sameur demande seulement après coup au miraculé s’il croit au Fils de l’homme, et qu’à ce moment-là même le miraculé déclare expressément qu’il ne le connaît pas encore ?

— Il paraît éAident que l’auteur, en composant son récit, a pensé à tout autre chose qu’à représenter le baptême chrétien.

La relation qui existe entre l’épisode et les paroles où Jésus se déclare la lumière du monde, n’est donc pas celle d’une composition symbolique à la A’érité spirituelle dont elle serait la traduction. L’infirmité de l’aveugle fournit au Sauveur l’occasion d’accomplir une fois de plus en faveur de son entourage l’œuvre