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XXXIX

été-brisée parle malheur, ce despote qui ne respecte rien, qui viole palais et chaumières, qui broyé avec.une impartiale cruauté cœurs d’épouses bergères ou châtelaines, cœurs de mères ri- ches ou pauvres. La comtesse de Fois ne voulut pas rester aux lieux témoins de ses humiliations et de ses douleurs : elle quitta la cour funeste de Charles le Mauvais, et les Pyrénées, tombeau du fils aimable qu’elle avait tant chéri. Ce fut au nord, dans le sein de sa famille, qu’elle revint chercher un asile digne d’elle, qu’elle alla demander des amis pour son cœur aimant, des consolations pour son âme déchirée de souvenirs et désor- mais sans espoir sur la terre.

La vertueuse compagne de Charles le Sage, de ce grand roi qui sauva la France du joug de l’étranger, Jeanne de Bourbon, tendit à la dame de Foix une main hospitalière : elle lui donna près d’elle une place honorable et l’admit dans son intimité.

Dans cette cour pleine de dignité, Agnès se vit honorer des arts et des lettres, ces deux cultes de sa jeunesse ; la musique et la poésie, qui toutes deux avaient embelli ses premières années, purent adoucir ses chagrins et calmer les agitations d’une âme longtemps troublée par les passions et l’inquiétude, minée par de cruels regrets.

Songeait-elle parfois au pauvre Guillaume, à ce serviteur fidèle, dont elle avait dû repousser l’imprudent amour, dont elle aurait dû peut-être ménager l’amitié ? Oublie-t-on jamais les beaux jours de la vie ! Quand l’infortune, cette destinée fatale de l’homme, jette ses voiles sombres sur son cœur et l’empêche de regarder en avant, la Providence lui permet de regarder en ar- rière et de rallumer son courage au soleil des souvenirs. Ses re- lations avec Machault avaient été sans tache, la médisance seule put supposer ce que le Voir Dit et les œuvres de Machault démen- tent avec constance. Pour Agnès, ce ne fut qu’un badinage poussé trop loin par sa coquetterie et son caractère alors jeune et joyeux, rendu plus sérieux par l’imagination présomptueuse d’un poète qui n’avait pas su vieillir. Mais de tout ce passé rien n’était à cacher ; tout avait pu se dire, se raconter. Heureux qui sème des fleurs sur les premiers pas de sa vie ; il peut les re- trouver quand, près du terme, il remonte la route qu’il a par- courue et revient en rêvant à son point de départ.

Machault vivait à Reims, toujours ami dévoué, toujours poëte et musicien ; il y mourut en 1377. Sans doute le temps avait