Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
HISTOIRE

lait soulever la question du droit de réunion et des banquets.

Un incident, dont le caractère révolutionnaire n’échappa point aux esprits attentifs, était survenu pendant la discussion des précédents paragraphes. Par une de ces inconséquences si fréquentes dans la vie des hommes politiques de ce siècle, M. Guizot, qui avait dû une grande partie de sa popularité, sous la Restauration, aux persécutions d’un ministre illibéral, usait à son tour du pouvoir pour interdire la parole à trois professeurs illustres : MM. Mickiewicz, Quinet et Michelet. Leur enseignement à tous trois n’avait pas, il est vrai, la régularité des programmes académiques ; un esprit supérieur animait leur parole et faisait sa puissance. Mickiewicz, le poëte-prophète, cherchait dans les origines de la race slave ses droits à la grandeur ; il relevait les abattements de la captivité, consolait, ennoblissait l’exil. Évoquant l’ombre de Napoléon, il ravivait l’amour de la France pour la Pologne, et promettait à l’union des deux peuples les plus sympathiques du monde moderne je ne sais quel avenir religieux et guerrier. Dans un langage plein de feu, qui empruntait ses beautés au double génie des langues slave et latine, il prêchait une croisade énigmatique contre l’esprit du mal, annonçant la délivrance de l’humanité, arrachée enfin aux puissances de l’abîme. L’Italie, ce foyer des lumières et de la liberté modernes, aujourd’hui étouffé sous les cendres, inspirait à Quinet des regrets pathétiques, mêlés de malédictions et d’anathèmes. Il menait le deuil de ses grandeurs perdues il lui suscitait des libérateurs. Quant à Michelet, il interrogeait l’histoire, pour rappeler à une jeunesse amollie les traditions d’honneur, de patriotisme et de liberté.

Tous trois, il le faut avouer, étaient de grands révolutionnaires, à une époque et sous un pouvoir qui n’aspiraient qu’au repos dans le bien-être, car ils réveillaient les nobles curiosités, agitaient les consciences et remuaient les cœurs. Ils osaient enseigner à la génération nouvelle la