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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

char funèbre s’avance lentement vers la maison de la rue Lepelletier où, deux heures auparavant, la bande populaire s’est arrêtée pour entendre des paroles de paix et saluer de ses vivat l’un des chefs de la presse démocratique. Cette fois elle s’y arrête encore, et c’est M. Garnier-Pagès qui se charge de la haranguer.

« Le malheur qui nous frappe, dit-il en maîtrisant son émotion, ne peut être attribué qu’à un malentendu. De grâce, rentrez chez vous. Ne troublez pas l’ordre. Sans aucun doute, il y a un coupable ; justice sera faite. Nous obtiendrons que le gouvernement prenne soin des familles des victimes ; mais renoncez à cette démonstration, qui peut amener des malheurs plus grands. » Le peuple reste sourd à ces prières. Il demande à grands cris qu’on le soutienne, qu’on propage l’insurrection. Il veut des chefs armes pour le combat et non des harangueurs de l’ordre. Il s’éloigne irrite, recrute encore sur son passage des hommes résolus, qui font serment-de mourir pour sa cause, et va chercher des appuis plus sincères à la Réforme, cet ardent foyer de la passion républicaine. Là ; il trouve réunis des gens décidés à jouer leur vie, qui lui jurent que la journée du lendemain ne se passera point sans que les égor-

    charge, une de ces voitures qui servent au transport des bagages dans les messageries débouchait sur le boulevard par la rue Neuve-des-Augustins. On l’arrêta, les effets qu’elle contenait furent jetés à terre, et on la chargea d’autant de cadavres qu’elle en pouvait contenir. L’homme du peuple qui conduisait la marche se nommait Soccas. Un détachement de dragons, qui stationnait dans la rue Royale, ayant aperçu de loin le convoi, sans rien distinguer dans cette masse mouvante, fit une charge au galop pour la disperser. Respect aux morts ! s’écria Soccas, au moment où les têtes des chevaux touchaient la voiture funèbre. L’officier qui commandait fit faire halte, et, retournant sur leurs pas, les dragons reprirent leur poste, saisis de l’étrange spectacle qu’ils venaient, de voir. Un bataillon de la 2e légion, accouru sur le boulevard au bruit de la fusillade, voulut intervenir pour arrêter, s’il était possible, cet appel à la vengeance populaire. Vivement pressé de donner des ordres, le chef de bataillon hésita, se troubla et finit par décliner la responsabilité d’une initiative qu’il jugeait inutile ou dangereuse.