Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/398

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
394
HISTOIRE

le général Lamoricière a trouvés sourds à sa voix, parlent avec émotion au poète, au citoyen, à l’ancien membre du gouvernement provisoire ; et comme il leur reproche leur révolte : « Nous ne sommes pas de mauvais citoyens, lui disent-ils, nous sommes des ouvriers malheureux. Nous demandons qu’on s’occupe de nos misères ; songez à nous ; gouvernez-nous, nous vous aiderons. Nous voulons vivre et mourir pour la République. » Et les hommes, les femmes, les enfants du faubourg, qui suivent leurs mères à la barricade, se pressaient autour de lui et voulaient serrer sa main. Il sentit encore à ce moment passer à son front, il crut respirer comme un dernier souffle de Février, comme un murmure expirant de popularité et d’enthousiasme.

Cependant, le général Cavaignac a repris sa marche par le boulevard. À la vue de sa colonne, plusieurs barricades sont abandonnées par les insurgés ; mais, arrivé à la hauteur de la rue Saint-Maur, on se trouve en présence d’une barricade dont les assises sont formées de six rangs de pavés. S’élevant à la hauteur d’un premier étage, et reliée à trois autres dans la rue Saint-Maur, la rue des Trois-Couronnes et la rue des Trois-Bornes, elle forme une véritable redoute. Là, les insurgés se préparent à une résistance énergique. Une centaine d’hommes environ répondent aux sommations en attendant la troupe de pied ferme, le fusil haut. Cavaignac commande l’assaut. La 4e compagnie du 20e bataillon de la garde mobile s’avance au pas de course, le long des maisons, de chaque côté de la rue. Son commandant, le brave Huot, garde seul le milieu du pavé. Les ouvriers, qui espèrent toujours raviver chez ces enfants des barricades le souvenir de Février, crient : Vive la garde mobile ! Ceux-ci, sans répondre, continuent de marcher. Déjà ils ne sont plus qu’à vingt pas de la barricade ; les insurgés font feu. En même temps, une grêle de balles épouvantable pleut de toutes les fenêtres.

Les hommes tombent par centaines ; le sang rougit les