Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/89

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sais quel système terroriste plus ridicule qu’effrayant et bien proportionné à la médiocrité des courages sur lesquels on voulait agir. Pour arracher immédiatement et par contrainte à l’esprit public ce qu’il aurait fait de plein gré un peu plus tard, on évoqua les fantômes du communisme et du jacobinisme. Contre des périls exagérés à plaisir on rappela ces redoutables maximes de salut public dont les imaginations étaient encore frappées par la récente lecture de l’Histoire des Girondins. Les pressions extérieures contre le Gouvernement provisoire d’abord, puis contre l’Assemblée, inoffensives et toutes d’appareil théâtral à leur origine, devinrent, en dépit même des hommes qui les avaient organisées et par la seule logique des choses, menaçantes et séditieuses. Des sophistes orgueilleux voulurent imposer au bon sens public des théories brutales et chimériques tout ensemble. On s’efforçait vainement de les comprendre quand les journées de juin vinrent leur donner un commentaire formidable. Alors une panique immense saisit le pays. On ne raisonna plus, on ne voulut plus rien entendre. Ce fut une déroute complète, un sauve-qui-peut universel. Au moment où j’écris ces lignes, Monseigneur, on n’est point revenu encore de cette épouvante. Chose étrange et bien triste à dire, c’est uniquement la peur aujourd’hui qui gouverne les conseils de la nation la plus brave du monde.

Ici commence l’erreur des partis monarchiques. Ils spéculent et raisonnent sur cette peur anormale comme s’il était possible qu’elle eût quelque durée. Ils se persuadent que les dispositions du pays sont changées parce que sa confiance est abattue. Et pourtant le choix même de l’homme que l’épouvante publique a porté au pouvoir l’atteste, rien n’est changé au fond des esprits ; le même désir de conciliation au sein de la République subsiste dans la pensée générale. Bien que cela puisse sembler paradoxal au premier abord, il est facile de reconnaître, pour qui regarde un peu au-dessous de l’apparence superficielle des choses, que le général Cavaignac représente exactement, sous une autre forme, cette pensée de conciliation qui fit en Février la force et la popularité de Lamartine.

L’épée du soldat n’appartient pas plus à un parti que la parole du poète. Le rôle tracé à l’un comme à l’autre par