Page:Ahern - Les maladies mentales dans l'œuvre de Courteline, 1920.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 53 —

VII. Idées délirantes de grandeur et de vanité.

« Les auteurs ont tous observé que le délire ambitieux systématisé se développe à peu près constamment chez des sujets très vaniteux, ayant toujours eu d’eux-mêmes une opinion très avantageuse, et dont l’état moral se caractérise par un égoïsme profond, par une indifférence complète à l’égard des sentiments et des intérêts d’autrui. »[1]

Michau[2], fonctionnaire dans une sous-préfecture de province, s’imagine un jour, à la suite de la composition d’un article de journal, qu’il est un écrivain de génie, comme la France n’en a jamais vu et n’en verra jamais. Il adresse sa prose au journal « Le Phalanstère de Seine-et-Marne » sous le pseudonyme de Hughes — Gontran — Ogier — Roboald Luberne-des-Haultes-Futaies, parce que son nom de Michau lui semble trop roturier, et en attendant la reproduction de son « bijou littéraire », il nous raconte ce qu’il pense de lui-même : « … le petit bijou littéraire m’apparût si étincelant de feux que j’en demeurai comme stupide, effaré à la seule idée que j’en avais pu être le sertisseur… Je vous répète que j’en restai baba !… Non sans raison, au demeurant ; car quelle que pût être déjà ma légitime confiance en moi, mon exacte notion de la supériorité intellectuelle dont se plurent à me doter les fées bienfaisantes au jour béni de ma naissance, je n’eusse oncques cru, je le déclare, que je dusse atteindre un si surprenant summum ». Il se compare avantageusement aux pauvres « imbéciles qui sont ses collègues à la sous-préfecture ; pauvres hères, sinistres crétins, brutes à la lèvre pendante, aux yeux de veau, au cerveau anémié et débile ». Il avoue qu’il aime la gloire, surtout parce qu’elle vous signale flatteusement à la considération des

  1. G. Ballet, etc., loc., cit., p. 566.
  2. G. Courteline : Lauriers coupés (L’Esprit Français).