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L’ILLUSTRE MAURIN

S’éro pas lou frascou
N’en sérîou ben mouart :

…et parce que mon grand-père me la contait une fois par jour, et enfin parce que tu ne la connais pas ! Et que tu ne la connaisses pas, ça m’étonne, car c’est une des plus vieilles histoires que l’on se répète dans nos veillées… Elle est fameuse, cette eau-de-vie.

— Tu te vas empéguer, Pastouré ! prends-toi garde !

— Pour une fois, je l’ai bien gagné !… Donc, il y avait un jour un matelot qui se voulait marier, mais comme toute sa vie il était resté dans des ports de mer, excepté seulement pendant le temps où il habitait sur la mer même, pour ses traversées, — il savait que dans les ports de mer les femmes connaissent trop de choses. Pendant que les marins naviguent, elles leur augmentent leurs familles, pechère !… Et là les filles sont sujettes à être avant l’âge aussi malignes, et rusées, et menteuses, et débauchées que leurs mères, tu m’as compris ! Notre matelot savait très bien tout cela et voilà pourquoi, se voulant marier, il décida qu’il n’épouserait qu’une fille qui n’aurait jamais vu la mer, même de loin ! une fille si pure, si innocente — mon homme ! — qu’elle ne saurait pas distinguer un gouvernail d’un aviron, et ignorerait en un mot toutes les choses de la marine. « Quand j’aurai trouvé une fille comme ça, se pensa-t-il, j’aurai trouvé un trésor, et aussitôt, mouille ! je jetterai l’ancre, et, dans le pays où sera la fille, je m’établirai, assuré enfin de n’être pas pareil, pour mon malheur, à tous les maris qui habitent des ports de mer. »

Pastouré interrompit son récit pour crier joyeusement :

— Me suis-tu, Maurin ? le plus beau approche !