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L’ILLUSTRE MAURIN

Marlusse reprit :

— Riez, riez, collègues ; allez, allez, ze sais de quoi ze vais parler !… Ze ne l’ai pas oublié, cette fois, et vous serez bien attrapés !… Ze l’ai noté, noté dans ma cervelle, le mot principal… il est gravé, là… Ze le tiens.

Il se touchait le front du doigt, d’un air génial.

Il reprit, après un silence durant lequel il avait toisé ses amis avec dédain :

— Pour vous le faire court, le lendemain matin, ze m’éveille de bonne heure, et pendant que les camarades dorment, ze mets mon pantalon, ma veste, ze m’habille… quoi ! ze me débarbouille… enfin ze fais comme tous les matins à l’habitude et ze sors… « Té ! ze me dis dans la rue, pour plus te perdre à l’essposition, tu vas aceter de ce pas… »

Ici, Soufflarès, Novarre et le maire laissèrent échapper un formidable éclat de rire. Et Lacroustade imita le canard, éperdument.

Marlusse leur jeta un coup d’œil furieux, puis il prit un air d’attention profonde sur lui-même, le regard tourné en dedans, comme absorbé dans la recherche d’une pensée subtile et fugace. Enfin, tout à coup, comme en détresse :

— Noum dé pas Dìou ! Ze l’ai encore oublié !… Eh bé, ze vous l’avais pas dit ? Voilà, messiès, pour ces bougres-là, le plus beau de mon histoire ! Voilà pourquoi ils me la font conter à tous les banquets, pour se fice de moi à leur aise. C’est que — c’est pourtant vrai ! — toutes les fois que ze la conte, z’oublie un mot, le mot principal, je vous dis ! Z’ai beau le savoir quand ze commence, z’ai beau me le répéter à table le jour, au lit la nuit, touzours ze l’oublie encore ! C’est comme