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MAURIN DES MAURES

Avant la première pointe du jour, elle traversa la plaine.

Arrivée au pied de la colline, à l’endroit précis où le chemin se fait pierrailleux et commence à monter sous les pins et les chênes à travers les bruyères, elle s’assit sur une grosse « roque », ôta ses souliers qu’elle lia l’un à l’autre au moyen des lacets, les mit à cheval sur son bras, ôta ses bas qu’elle plaça dans ses souliers, retroussa un peu ses jupes courtes à cause des ruisseaux qui, après les pluies d’automne, traversent les chemins et débordent les ornières, et telle, le bord de sa robe pris dans sa ceinture, les chevilles nues sous le cotillon court rayé de blanc et de bleu, elle commença le pèlerinage en murmurant :

— Faites-moi oublier, Bonne Mère, sainte Vierge, ce braconnier ensorceleur afin que je devienne de bon cœur l’honnête épouse d’Alessandri !

La pauvre naïve Tonia ne se disait pas que l’aveu le plus grave de son amour, c’était d’attribuer à la seule sainte Vierge le pouvoir de le lui retirer du cœur. Et c’est le cœur plein du nom de Maurin et plein de son image, qu’elle montait le rude chemin de la colline à travers les hautes pinèdes que traversait, en les faisant toutes roses, le premier rayon de l’aurore.

L’automne finissait. Le ciel était bleu, d’un bleu uni et, dans cet azur de couleur fraîche, la lumière était tiède comme en avril. C’était l’époque où les arbousiers sont à la fois en fleurs et en fruits. Fruits rouges, fleurs blanches. Tous les rouges-gorges du monde s’y donnent alors rendez-vous, et les emplissent de leurs petits cris d’appel, semblables à des grésillements d’étincelles… Autour des arbousiers, à terre, fruits et fleura tombent par myriades, et l’on dirait du sang sur de la neige.