Le singe flaire une pomme vénéneuse et la rejette.
« Le besoin d’une morale préexiste, dans l’homme, à toute morale formulée. Ce besoin est un fait physiologique, comme la faim.
« Et l’homme, pris en masse, en tant qu’être moral, se comporte vis-à-vis des idées comme le singe avec les fruits : il reconnaît au flair les doctrines qui empoisonnent, ou s’il y mord, il ne s’en nourrit pas.
M. Cabissol toussa de nouveau.
— S’il y goûte, il peut en mourir, dit-il.
— Individuellement ; mais en tant que race, en tant qu’humanité, l’homme résiste à tous les poisons que produit son cerveau, car la volonté de vivre est infinie, et indépendante de son raisonnement. La cause reste la plus forte. L’espérance indéfinie, si voisine de la foi, est, comme le besoin d’une morale, un fait physiologique.
Pastouré, émerveillé, renouvela un mot célèbre :
— C’est bougrement beau : je n’y comprends rien.
— Tout de même, poursuivit M. Rinal, l’idéal, le rêve du meilleur et du plus beau, produit par le cerveau humain, est un fait. On peut très bien admettre que ce rêve est une étape vers la réalisation positive des plus nobles chimères.
« Il ne me paraît pas absurde d’affirmer que Dieu, ainsi compris, et qui n’existe pas encore pour qui n’en a pas la conception, existe déjà réellement pour celui qui l’aime !…
« Pourquoi, dans l’infini, le progrès ne serait-il pas indéfini ? Il n’est pas nécessaire aujourd’hui d’avoir du génie pour constater que, dans l’ordre social, tout évolue et que tout monte.