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son départ du défrichement où s’était écoulée sa jeunesse.

D’ailleurs, lorsque la petite troupe s’était mise en route pour aller à la découverte d’un nouveau territoire, Diana semblait joyeuse ; elle gazouillait gaiement comme un oiseau, ne paraissant nullement se soucier de ceux qu’elle laissait derrière elle.

Après ces réflexions, à son tour la mère soupira ; car si elle, avait deviné l’amour de sa fille, elle n’avait pu parvenir à découvrir l’homme qui était l’objet de cet amour.

Mistress Bright se résolut à interroger sa fille, dès qu’elle se trouverait seule avec elle. Jusque-là, elle continua à feindre de tout ignorer.

Le jour de congé accordé par John Bright à sa famille parut devoir lui offrir l’occasion favorable qu’elle attendait avec impatience ; aussi fut-ce avec joie qu’elle reçut cette nouvelle que lui donna son mari, le soir, après la prière que, selon la coutume de la famille, on faisait en commun avant de se livrer au sommeil.

Le lendemain au lever du soleil, selon leur habitude de chaque jour, les deux femmes s’occupèrent du déjeuner, pendant que les serviteurs allaient conduire les bestiaux au fleuve.

« Femme, dit le squatter en déjeunant, Williams, et moi nous avons l’intention, puisqu’aujourd’hui le travail est suspendu, de monter à cheval après le repas, et d aller visiter un peu les environs que nous ne connaissons pas.

— Ne vous éloignez pas trop, mon ami, et surtout sortez bien armés ; vous savez qu’au désert les mauvaises rencontres sont fréquentes.

— Oui ; aussi soyez tranquille. Bien que je croie que nous n’avons rien à craindre quant à présent, je serai prudent. N’auriez-vous pas le désir de nous accompagner, ainsi que Diana, vous profiteriez de l’occasion pour connaître votre nouveau domaine ? »

Les yeux de la jeune fille brillèrent de joie à cette proposition ; elle ouvrit la bouche pour répondre, mais sa mère lui posa la main sur la bouche en lui lançant un regard, et prit la parole à sa place.

« Vous nous excuserez, mon ami, dit-elle avec une certaine vivacité ; les femmes, vous le savez, ont toujours quelque chose à faire. Pendant votre absence, Diana et moi nous mettrons tout en ordre ici, ce que les occupations pressées des jours précédents nous ont empêchées de faire.

— Comme il vous plaira, femme.

— D’autant plus, continua-t-elle avec un sourire, qu’il est probable que nous resterons longtemps ici…

— Je le suppose, interrompit le squatter.

— Ce qui fait, reprit-elle, que je ne manquerai pas d’occasions de visiter nos nouveaux domaines, ainsi que vous les appelez, un autre jour.

— Parfaitement raisonné, mistress, je suis complètement de votre avis ; nous ferons donc, Williams et moi, notre tournée tout seuls ; je vous recommande de ne pas trop vous inquiéter si par hasard nous rentrions un peu tard.

— Non ; mais à condition que vous serez de retour avant la nuit.

— C’est convenu. »

On parla d’autre chose ; cependant, vers la fin du repas, Sem, sans y songer, replaça la conversation à peu près sur le même sujet.

« Je soutiens, James, dit-il à son compagnon, que le jeune homme était un Français et non un Canadien, ainsi que vous le croyez à tort.

— De qui parlez-vous ? demanda le squatter.

— Du gentleman qui accompagnait les Peaux-Rouges et qui nous a fait restituer nos bestiaux.

— Oui, sans compter que nous lui avons bien d’autres obligations encore, car si je me vois enfin propriétaire d’un défrichement, c’est à lui que je le dois.

— C’est un digne gentleman, dit avec intention mistress Bright.

— Oh ! oui, murmura Diana d’une voix indistincte.

— Il est Français, appuya John Bright, il n’y a pas à en douter ; ces fils de louve de Canadiens sont incapables de se conduire comme il l’a fait à notre égard. »

Ainsi que tous les Américains du Nord, John Bright détestait cordialement les Canadiens ; pourquoi ? il n’aurait su le dire, mais cette haine était innée dans son cœur.

« Bah ! fit Williams, qu’importe son pays, c’est un brave cœur et un vrai gentleman. Pour ma part, je connais, père, un certain Williams Bright qui se ferait avec plaisir rompre les os pour lui.

By God ! s’écria le squatter en frappant du poing sur la table, en agissant ainsi tu ne ferais que ton devoir et payer une dette sacrée. Je donnerais quelque chose pour le revoir, ce jeune homme, afin de lui prouver que je ne suis pas ingrat.

— Bien parlé, père ! exclama Williams avec joie ; les honnêtes gens sont trop rares dans ce monde pour qu’on ne tienne pas à ceux que l’on connaît ; si quelque jour nous nous retrouvons ensemble, je lui montrerai quel homme je suis. »

Pendant cet échange rapide de paroles, Diana ne disait rien ; elle écoutait, le cou tendu, le visage rayonnant et le sourire aux lèvres, heureuse d’entendre ainsi parler de l’homme que, sans le savoir, elle aimait depuis qu’elle l’avait vu.

Mistress Bright jugea prudent de donner un autre cours à la conversation.

« Il est une autre personne encore à laquelle nous avons de grandes obligations, car si Dieu ne l’avait pas si à propos envoyée à notre secours, nous aurions été impitoyablement massacrés par les Indiens ; avez-vous donc déjà oublié cette personne ?

— Dieu m’en garde ! s’écria vivement le squatter ; la pauvre créature nous a rendu un trop grand service pour que je la mette en oubli.

— Mais qui diable peut être cette femme ? demanda Williams.

— Ma foi ! je serais bien embarrassé de le dire ; je crois même que les Indiens et les trappeurs, qui