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parcourent les prairies, ne pourraient guère nous donner de renseignements sur elle.

— Elle n’a fait que paraître et disparaître, observa James.

— Oui, mais son passage, si rapide qu’il a été, a laissé de profondes traces, reprit mistress Bright.

— Sa vue seule a suffi pour terrifier les Indiens ; du reste cette femme, quelque opinion qu’on émette en ma présence sur son compte, sera toujours pour moi un bon génie.

— Celle à laquelle nous devons de ne pas avoir souffert d’atroces tortures.

— Dieu la bénisse, la digne créature, s’écria le squatter ; si jamais elle a besoin de moi, elle peut venir en toute sûreté ; moi et tout ce que je possède est à sa disposition. »

Le repas était fini, on se leva de table, Sem avait sellé deux chevaux.

John Bright et son fils prirent leurs pistolets, leurs bowie-knifes et leurs rifles, montèrent à cheval, et, après avoir une dernière fois promis de ne pas revenir trop tard, ils descendirent avec précaution le sentier tortueux qui conduisait dans la plaine.

Diana et sa mère s’occupèrent alors activement, à remettre, ainsi que cela avait été convenu, tout en ordre dans le camp.

Lorsque mistress Bright eut vu son mari et son fils disparaître dans les méandres infinis de la prairie, qu’elle se fut assurée que les deux serviteurs assis non loin l’un de l’autre au dehors travaillaient, tout en causant entre eux, à réparer des harnais endommagés, elle prit un ouvrage à l’aiguille, se plaça sur un pliant et fit signe à sa fille de venir s’asseoir à ses côtés.

Diana obéit avec une certaine appréhension intérieure, jamais jusqu’alors sa mère n’avait employé avec elle ces façons mystérieuses, auxquelles elle ne comprenait rien.

Pendant quelques instants, les deux femmes travaillèrent silencieusement en face l’une de l’autre.

Enfin mistress Bright arrêta son aiguille et regarda sa fille.

Celle-ci continua à coudre sans paraître remarquer cette interruption.

« Diana, lui demanda-t-elle, n’avez-vous rien à me dire ?

— Moi ! ma mère, répondit la jeune fille en levant la tête d’un air étonné.

— Oui, vous, mon enfant.

— Pardonnez-moi, ma mère, reprit-elle avec un certain tremblement de la voix, mais je ne vous comprends pas. »

Mistress Bright soupira.

« Oui, murmura-t-elle, il en doit être ainsi ; il arrive un moment où les jeunes filles ont malgré elles, sans le savoir, un secret pour leur mère. »

La pauvre femme essuya une larme.

Diana se leva vivement, et serrant avec tendresse sa mère dans ses bras :

« Un secret ! moi, un secret pour vous, ma mère ! Oh ! mon Dieu, pouvez-vous le supposer !

— Enfant, répondit mistress Bright avec un sourire d’ineffable bonté, on ne trompe pas l’œil d’une mère ; et posant le bout de son doigt sur le cœur palpitant de sa fille : ton secret est là, » dit-elle.

Diana rougit et se recula toute confuse.

« Hélas ! reprit la bonne dame, ce n’est pas un reproche que je t’adresse, pauvre chère enfant bien-aimée. Tu subis à ton insu les lois de la nature ; j’ai été, moi aussi, à ton âge, comme tu es en ce moment, et lorsque ma mère me demanda mon secret, comme toi je répondis que je n’en avais pas, parce que ce secret je l’ignorais moi-même. »

La jeune fille cacha dans le sein de sa mère son visage inondé de larmes.

Celle-ci écarta doucement le flot onduleux de cheveux blonds qui voilaient le front de sa fille et, lui donnant un baiser, elle lui dit avec cet accent que possèdent seules les mères :

« Voyons, ma Diane chérie, sèche tes larmes, ne te tourmente pas ainsi, dis-moi seulement ce que tu éprouves depuis quelques jours.

— Hélas ! ma bonne mère, répondit l’enfant souriant à travers ses larmes, je n’y comprends rien moi-même, je souffre sans savoir pourquoi, je suis inquiète, ennuyée, tout me dégoûte et me fatigue, et pourtant il me semble que rien n’est changé dans ma vie.

— Tu te trompes, enfant, répondit gravement mistress Bright, ton cœur a parlé à ton insu ; alors, de jeune fille insouciante et rieuse que tu étais, tu es devenue femme, tu as pensé, ton front a pâli et tu souffres.

— Hélas ! murmura Diana.

— Voyons, depuis combien de temps es-tu triste ainsi ?

— Je ne sais, ma mère.

— Rappelle tes souvenirs.

— Je crois que c’est… »

Mistress Bright, comprenant l’hésitation de sa fille, lui coupa la parole.

« Depuis le lendemain de notre arrivée ici, n’est-ce pas ? »

Diana leva sur sa mère ses grands yeux bleus dans lesquels se lisait un étonnement profond.

« En effet, murmura-t-elle.

— Ta tristesse a commencé au moment où les étrangers, qui nous avaient si noblement aidés, ont pris congé de nous ?

— Oui, fit la jeune fille d’une voix basse comme un souffle, les yeux baissés et le front rougissant.

Mistress Bright continua en souriant ce singulier interrogatoire.

« En les voyant partir, ton cœur s’est serré, tes joues out pâli, tu as frissonné malgré toi, et si je ne t’avais pas retenue, moi, qui te surveillais avec soin, pauvre chère, tu serais tombée ; tout cela n’est-il pas vrai ?

— C’est vrai, ma mère, répondit la jeune fille d’une voix plus assurée.

— Bien ; et l’homme dont tu regrettais d’être séparée, celui qui cause aujourd’hui ta tristesse et ta souffrance, enfin cet homme c’est… ?

— Ma mère ! s’écria-t-elle en se jetant dans ses bras et se cachant honteuse le visage dans son sein.