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— Oui, répondit-elle en baissant les yeux.

— Fort bien ; alors écoutiez attentivement ce que je vais vous dire : je me trompe fort, ou cela vous intéressera prodigieusement. »

Les deux auditeurs se penchèrent vers lui et prêtèrent l’oreille avec soin.

Ivon raconta alors, dans les plus grands détails, la conversation de son maître avec les deux chefs, l’altercation qui s’était élevée entre eux, le combat qui en était résulté, et la façon dont il s’était échappé.

« Si je me suis sauvé, dit-il en terminant, Dieu m’est témoin que ce n’a pas été dans le but de préserver ma vie ; bien que je sois très-poltron, je n’hésiterai pourtant jamais à sacrifier ma vie pour lui, mais Balle-Franche m’a conseillé d’agir ainsi, afin que je puisse tâcher de leur trouver du secours à tous deux.

— Bon ! s’écria vivement la jeune fille, l’homme pâle est brave, que veut-il faire ?

— Je veux sauver mon maître, pardieu ! fit résolument le Breton, seulement je ne sais pas comment m’y prendre.

— Fleur-de-Liane le sait, elle aidera le visage pâle.

— Est-ce bien vrai, ce que vous me promettez là, jeune fille ? »

L’Indienne sourit.

« Le visage pâle suivra Fleur-de-Liane et le Loup-Rouge, dit-elle, ils le conduiront dans un endroit où il trouvera des amis.

— Bon ! et quand ferez-vous cela, ma belle fille ? demanda-t-il le cœur palpitant de joie.

— Aussitôt que le visage pâle sera prêt à se mettre en route.

— Tout de suite ! mille dieux ! tout de suite ! » s’écria le Breton en se levant précipitamment et courant à son cheval.

Fleur-de-Liane et le Loup-Rouge avaient laissé leurs montures cachées à peu de distance dans le fourré.

Dix minutes plus tard, Ivon et ses deux guides quittaient la clairière où avait eu lieu leur rencontre.

Il était minuit à peu près au moment où ils se remettaient en marche.

« Mon pauvre maître ! murmura le Breton, parviendrai-je à le sauver ! »


XXIII

PLAN DE CAMPAGNE.


La nuit était noire, sombre et toute chargée d’orages.

Le vent sifflait avec de lugubres murmures à travers les branches. À chaque rafale de la brise, les arbres secouaient leurs têtes humides et faisaient pleuvoir de courtes ondées qui grésillaient sur les buissons.

Le ciel avait une teinte d’acier sinistre et menaçante.

Tel était le silence de ce désert qu’on y entendait la chute d’une feuille desséchée ou le froissement de la branche touchée au passage par quelque animal invisible.

Ivon et ses guides s’avançaient avec précaution à travers le bois, cherchant leur route dans les ténèbres, à demi couchés sur leurs chevaux, afin d’éviter les branches qui leur fouettaient à chaque pas le visage, sondant de l’œil le terrain qu’ils foulaient, mais que, dans l’obscurité, il leur était presque impossible de reconnaître.

Grâce aux méandres sans nombre qu’ils étaient contraints de suivre, près de deux heures s’écoulèrent avant qu’ils sortissent du bois ; enfin ils débouchèrent dans la plaine et se trouvèrent presque instantanément sur les bords du Missouri.

Le fleuve, grossi par les pluies et les neiges, roulait bruyamment ses eaux jaunâtres.

Les fugitifs suivirent les rives en remontant vers le sud-ouest. Maintenant qu’ils avaient trouvé le fleuve, toute incertitude avait cessé pour eux, leur route était clairement et nettement tracée sans qu’ils redoutassent de se perdre.

Arrivés à un certain endroit où une pointe de sable s’avançait de quelques mètres dans le lit du fleuve et formait une espèce de cap, de l’extrémité duquel, malgré l’obscurité, grâce à la transparence des eaux, on distinguait les objets à une certaine distance, le Loup-Rouge fit signe à ses compagnons de s’arrêter, et lui-même mit pied à terre.

Fleur-de-Liane et le Breton imitèrent ce mouvement.

Ivon n’était pas fâché de prendre quelques instants de repos et surtout de se renseigner avant d’aller plus loin.

Dans le premier moment, entraîné malgré lui par un mouvement irréfléchi du cœur qui le poussait à sauver le plus tôt possible son maître, par tous les moyens qui se présenteraient à lui, il n’avait pas hésité à suivre ses deux étranges conducteurs ; mais, avec la réflexion, sa méfiance était revenue plus vive et plus forte, et le Breton voulait ne s’engager davantage avec les gens qu’il avait rencontrés que sur des renseignements positifs et des preuves irrécusables de leur loyauté.

Leur qualité d’Indiens appartenant à la même tribu et au même village que l’homme dont son maître était prisonnier, suffisait amplement pour justifier la méfiance que le digne Breton éprouvait à leur égard, d’autant plus que, depuis qu’il voyageait avec eux, rien n’était venu lui prouver le dévouement dont ils avaient fait parade à ses yeux, et qu’au contraire ils avaient tous deux constamment gardé un morne silence.

Comme beaucoup de gens, dont pourtant la majeure partie de l’existence s’est écoulée en Amérique, Ivon ne connaissait les Indiens que par les récits mensongers faits par leurs ennemis, avant