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Ceux-ci jugeant inutile d’attendre plus longtemps, quittèrent leur abri et s’avancèrent au devant du nouveau venu après avoir recommandé au Breton de ne pas se montrer sans leur autorisation.

Celui-ci n’avait garde de le faire ; seulement, avec cette prudence qui le distinguait, il arma ses pistolets, en prit un de chaque main, et, rassuré par cette précaution, il attendit plus tranquille ce qui allait arriver.

Le nouvel acteur qui venait d’entrer si à l’improviste en scène, et que le lecteur a déjà reconnu sans doute, était mistress Margaret, celle que les Indiens nommaient la Louve-Menteuse des prairies ; elle avait quitté depuis une heure à peine le major Melvil, avec lequel elle avait eu dans le fort Mackensie la longue conversation à laquelle nous avons assisté.

Bien qu’elle ne s’attendît pas à rencontrer Fleur-de-Liane en cet endroit, elle ne parut cependant nullement étonnée de la voir, et lui fit de la tête un signe amical, auquel la jeune fille répondit par un sourire.

« Quoi de nouveau ? demanda-t-elle en se tournant vers l’Indien.

— Beaucoup de choses, répondit celui-ci.

— Parle. »

Le Loup-Rouge raconta alors tout ce qui s’était passé pendant la chasse, de quelle façon il l’avait appris et comment Ivon s’était échappé pour chercher des sauveurs pour son maître.

Margaret écouta ce long récit sans laisser paraître aucune trace d’émotion sur son visage impassible, étoilé de rides et flétri par la misère. Lorsque le Loup-Rouge eut fini de parler, elle réfléchit quelques minutes, puis relevant la tête :

« Où est ce visage pâle ? dit-elle.

— Ici, répondit l’Indien en désignant le bouquet d’arbres.

— Qu’il vienne. »

Le chef se mit en devoir d’obéir ; mais le Breton avait entendu ce dernier mot prononcé en anglais, et jugeant que c’était à lui qu’il s’adressait, il sortit de sa cachette, après avoir repassé ses pistolets à sa ceinture, et rejoignit le groupe.

En ce moment les premières lueurs du jour commençaient à paraître, l’obscurité se dissipait rapidement, et une ligne rougeâtre qui se dessinait à l’extrême limite de l’horizon indiquait que le soleil ne tarderait pas à se lever.

La Louve fixa sur le Breton son œil fauve avec une fixité qui semblait vouloir sonder les replis les plus secrets de son cœur.

Ivon n’avait rien à se reprocher, au contraire ; aussi il supporta bravement ce regard.

La Louve, satisfaite sans doute de l’examen muet qu’elle avait fait subir au Breton, adoucit alors l’expression dure de son visage, et d’une voix qu’elle tâcha de rendre conciliatrice, elle lui adressa enfin la parole.

« Écoute bien, lui dit-elle.

— J’écoute.

— Tu es dévoué à ton maître ?

— Jusqu’à la mort, répondit fermement le Breton.

— Bien. Ainsi je puis compter sur toi ?

— Oui.

— Tu comprends, n’est-ce pas, que nous ne sommes pas assez forts, à nous quatre, pour sauver ton maître ?

— Cela me paraît difficile, en effet.

— Nous aussi nous voulons nous venger de Natah-Otann.

— Fort bien.

— Depuis longtemps, nos mesures sont prises pour atteindre ce but à un moment donné ; ce moment est arrivé, mais nous avons des auxiliaires qu’il faut prévenir.

— C’est juste. »

Elle ôta une bague de son doigt.

« Prends cet anneau ; tu sais te servir d’une pagaie, je suppose ?

— Je suis Breton, c’est-à-dire marin.

— Monte donc dans la pirogue qui est là, et, sans perdre un instant, descends le fleuve jusqu’à ce que tu arrives à un fort.

— Hum ! Est-ce bien loin ?

— Tu l’atteindras dans moins d’une heure, si tu fais diligence.

— Soyez tranquille.

— Dès que tu seras au fort, tu demanderas à parler au major Melvil, tu lui présenteras cette bague et tu lui raconteras les événements dont tu as été témoin.

— Est-ce tout ?

— Non, le major te donnera un détachement de soldats avec lesquels tu viendras nous rejoindre au défrichement de John Bright ; pourras-tu le retrouver ?

— Je pense que oui, d’autant plus qu’il est, je crois, sur la rive du fleuve.

— Et que tu dois passer devant pour aller au fort.

— Et la pirogue, qu’en ferai-je ?

— Tu l’abandonneras.

— Quand dois-je partir ?

— À l’instant ; le soleil est levé déjà depuis plus d’une demi-heure, il faut se hâter.

— Et vous, qu’allez-vous faire ?

— Nous allons, je te l’ai dit, au défrichement du Squatter, où nous t’attendrons. »

Le Breton réfléchit une minute.

« Écoutez à votre tour, dit-il, je n’ai pas l’habitude de discuter les ordres qu’on me donne lorsque je les crois justes ; je ne suppose pas que vous ayez eu l’intention, dans une circonstance aussi grave, de vouloir vous moquer d’un pauvre diable que la douleur rend à moitié fou et qui sacrifierait avec joie sa vie pour sauver celle de son maître.

— Tu as raison.

— Je vais donc vous obéir.

— Tu devrais l’avoir déjà fait.

— C’est possible, mais j’ai un dernier mot à dire.

— J’écoute.

— Si vous me trompez, si vous ne m’aidez pas