Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/118

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réellement, ainsi que vous vous y engagez, à sauver mon maître, je suis poltron, c’est connu, mais, foi d’Ivon Kergollec, qui est mon nom, je vous brûlerai la cervelle ; quand même vous seriez cachée dans les entrailles de la terre, j’irais vous chercher pour accomplir mon serment. Vous m’entendez, n’est-ce pas ?

— Parfaitement ; maintenant, as-tu fini ?

— Oui.

— Alors, pars.

— C’est, ce que je fais, adieu !

— Au revoir ! »

Le Breton s’inclina une dernière fois, s’avança vers la barque, la remit à l’eau, sauta dedans, prit la pagaie et s’éloigna d’un train qui faisait supposer qu’il ne tarderait pas à arriver à sa destination.

Ses ex-compagnons le suivirent des yeux jusqu’à ce qu’il eut disparu à un coude du fleuve.

« Et nous, dit Fleur-de-Liane ? qu’allons-nous faire ?

— Aller au défrichement, afin dé nous concerter avec John Bright. »

Margaret monta sur le cheval d’Ivon, Fleur-de-Liane et le Loup-Rouge reprirent chacun le leur, et tous trois s’éloignèrent au galop.

Par une heureuse coïncidence, ce jour était celui choisi par le squatter pour donner du repos à sa famille.

Il était, ainsi que nous l’avons dit, sorti, accompagné de son fils Williams, afin d’aller faire une tournée dans ses propriétés.

Après une course assez longue, pendant laquelle, à la vue des belles et riches terres qu’il possédait, des magnifiques essences qui poussaient dans ses bois, le squatter s’était extasié à plusieurs reprises avec cette expression de jubilation que seuls connaissent les propriétaires, de fraîche date surtout, les promeneurs se préparaient à reprendre le chemin de leur forteresse, lorsque tout à coup Williams fit apercevoir à son père trois cavaliers qui se dirigeaient vers eux à toute bride.

« Hum ! fit John Bright, des Indiens ; mauvaise rencontré ; dissimulons-nous derrière ce taillis et tâchons de savoir ce qu’ils nous veulent.

— Arrêtez, père, répondit le jeune homme, je crois que cette précaution est inutile.

— Pourquoi cela, garçon ?

— Parce que, dans ces cavaliers, il y a deux femmes.

— Ce n’est pas une raison, cela, fit le squatter qui, depuis l’assaut des Peaux-Rouges, était devenu excessivement prudent, vous savez que, dans ces maudites tribus, les femmes se battent aussi bien que les hommes.

— C’est vrai ; mais tenez, les voilà qui déploient une robe de bison en signe de paix. »

En effet, un des cavaliers faisait flotter au vent une robe de bison.

« Vous avez raison, garçon, reprit le squatter au bout d’un instant ; attendons-les, d’autant plus que, si je ne me trompe, je crois reconnaître parmi eux une ancienne connaissance.

— La femme qui nous a sauvés, n’est-ce pas ?

— Juste ; pardieu ! la rencontre est bizarre. Pauvre femme, je suis heureux de la revoir. »

Dix minutes plus tard, les cavaliers les avaient rejoints.

Après les premières salutations, la Louve prit la parole :

« Me reconnaissez-vous, John Bright ? lui dit-elle.

— Certes, oui, je vous reconnais, ma digne femme, répondit-il avec effusion ; bien que je ne vous aie vue que peu d’instants et dans une terrible circonstance, votre souvenir n’est pas sorti de ma mémoire ni de mon cœur ; soyez tranquille, je n’ai qu’un désir, c’est que vous me procuriez l’occasion de vous le prouver. »

Un éclair de joie passa dans l’œil de la Louve.

« Parlez-vous sérieusement ? lui dit-elle.

— Mettez-moi à l’épreuve, répondit-il vivement.

— Bien ; je ne m’étais pas trompée sur vous ; je suis heureuse de ce que j’ai fait, je vois que le service que je vous ai rendu n’est pas tombé dans un terrain ingrat.

— Parlez.

— Pas ici ; ce que j’ai à vous dire est trop long et trop sérieux pour que nous puissions nous entretenir convenablement en cet endroit.

— Voulez-vous venir chez moi, là nous ne craindrons pas d’être dérangés.

— Si vous y consentez.

— Comment, si j’y consens, ma digne femme, mais la maison, tout ce qu’elle contient et les maîtres par-dessus le marché, tout est à vous, vous le savez bien. »

Margaret sourit tristement.

« Merci, » dit-elle en lui tendant la main.

John Bright la serra joyeusement.

« Allons, dit-il, puisque nous n’avons plus rien à faire ici, partons.

— Partons, » répondit Margaret.

Ils reprirent le chemin de l’habitation.

Le retour fut silencieux ; chacun, absorbé par ses pensées, marchait sans songer à adresser la parole à ses compagnons.

Ils n’étaient plus qu’à une faible distance de l’habitation, lorsque tout à coup ils virent déboucher d’un bois épais, qui s’étendait sur la droite, une vingtaine au moins de cavaliers revêtus, autant qu’on pouvait le distinguer d’aussi loin, du costume de coureurs des bois.

« Qu’est-ce là ! s’écria John Bright avec étonnement, en tirant la bride et arrêtant son cheval.

— Eh ! fit la Louve, sans répondre au squatter, le Français a fait diligence.

— Que voulez-vous dire ?

— Je vous expliquerai tout cela plus tard ; quant à présent, bornez-vous à donner l’hospitalité à ces braves gens et à les bien recevoir.

— Hum ! fit John Bright avec défiance, je ne demande pas mieux, mais encore faut-il que je sache qui ils sont et ce qu’ils me veulent.

— Ce sont des Américains comme vous, John Bright, c’est moi qui ai demandé au commandant