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Tapitschaco tanetschtupa,
Edaiare menadii, etc., etc.[1]

« Oh ! murmura le comte avec joie, je reconnais cette voix, mon ami.

— Et moi aussi, pardieu ! C’est celle de Fleur-de-Liane.

— Que veut-elle dire ?

— Pardieu ! fit Balle-Franche, c’est un avertissement qu’elle nous donne.

— Croyez-vous ?

— Fleur-de-Liane vous aime, monsieur Édouard.

— Pauvre enfant, et moi aussi je l’aime ; mais, hélas !

— Bah ! après la pluie le beau temps.

— Si je pouvais la voir.

— À quoi bon ? Elle saura bien, quand il le faudra, se rendre visible. Allez, sauvages ou civilisées, toutes les femmes sont les mêmes. Mais, attention, voilà quelqu’un. »

Ils se rejetèrent sur leurs fourrures, où ils feignirent de dormir.

Un homme avait doucement levé le rideau de la tente. À la lueur du rayon lunaire qui passa par l’ouverture, les prisonniers reconnurent le Loup-Rouge.

L’Indien regarda un instant au dehors ; puis, rassuré probablement par la tranquillité qui régnait aux environs, il laissa retomber le rideau de la tente et fit quelques pas dans l’intérieur.

« Le jaguar est fort et courageux, dit-il à voix haute, comme s’il se parlait à lui-même ; le renard est rusé ; mais l’homme dont le cœur est grand, est plus fort que le jaguar et plus rusé que le renard, lorsqu’il a entre les mains des armes pour se défendre. Qui dit que l’Œil-de-Verre et la Balle-Franche se laisseront égorger comme de timides gazelles ? »

Et, sans regarder les prisonniers, le chef laissa tomber à ses pieds deux fusils auxquels pendaient des poires à poudre, des sacs à balles et deux longs couteaux ; puis il ressortit de la tente d’un pas aussi calme et aussi tranquille que s’il avait fait la chose la plus simple du monde.

Les prisonniers se regardaient avec étonnement.

« Que pensez-vous de cela ? murmura Balle-Franche stupéfait.

— C’est un piège, répondit le comte.

— Hum ! piège ou non, les armes sont là et je m’en empare. »

Le chasseur saisit les fusils et les couteaux qu’il cacha immédiatement sous les fourrures.

À peine les armes étaient-elles en sûreté, que le rideau de la tente fut levé de nouveau.

Les prisonniers eurent à peine le temps de reprendre leur place.

L’homme qui entrait en ce moment était Natah-Otann ; il tenait à la main une branche de bois d’ocote, ou bois de chandelle, qui éclairait son visage soucieux et lui donnait une expression encore plus sombre et plus sinistre.

Le chef creusa le sol avec son couteau, planta sa torche en terre et s’avança vers les prisonniers qui nonchalamment appuyés sur le coude, le regardaient approcher sans faire un mouvement.

« Messieurs, dit Natah-Otann, je viens vous demander un moment d’entretien.

— Parlez, monsieur ; nous sommes vos prisonniers, et, comme tels, contraints de vous entendre sinon de vous écouter, répondit sèchement le comte en s’accommodant sur ses fourrures, tandis que Balle-Franche se levait nonchalamment et allait allumer sa pipe à la torche de bois de chandelle.

— Depuis que vous êtes mes prisonniers, messieurs, reprit le chef, vous n’avez pas eu, que je sache, à vous plaindre de la façon dont je vous ai traités.

— C’est selon ; d’abord, je n’admets pas que je sois légalement votre prisonnier.

— Oh ! monsieur le comte, dit Natah-Otann avec un sourire railleur, vous parlez de légalité à un pauvre Indien ? Vous savez bien que nous ignorons ce mot, nous autres.

— C’est juste ; continuez.

— Je viens vous trouver…

— Pourquoi ? interrompit le comte avec impatience, expliquez-vous.

— J’ai un marché à vous proposer.

— À moi ?

— Oui.

— Hum ! je vous avouerai franchement que votre manière de traiter les affaires ne me donne pas grande confiance. »

L’Indien fit un geste.

« C’est égal, reprit le comte, voyons toujours ce marché.

— Monsieur, je ne voudrais pas être obligé de vous faire garrotter de nouveau, comme vous l’avez été lorsqu’on vous a pris.

— Je vous en suis obligé.

— Mais j’ai en ce moment absolument besoin de tous mes guerriers, et je ne puis laisser personne pour vous garder, ainsi que votre compagnon.

— Ce qui veut dire ?…

— Que je vous demande votre parole de ne pas vous échapper d’ici vingt-quatre heures.

— Mais ce n’est pas un marché, cela.

— Attendez, j’y arrive.

— Bon, j’attends.

— En revanche, je m’engage, moi…

— Ah ! fit le comte d’un ton goguenard, voyons un peu à quoi vous vous engagez, vous ; ce doit être curieux.

— Je m’engage, reprit le chef toujours froid et impassible, à vous rendre votre liberté dans vingt-quatre heures.

— Et à mon compagnon ? »

L’Indien baissa affirmativement la tête.

Le comte de Beaulieu partit d’un formidable éclat de rire.

« Et si nous n’acceptons pas ? dit-il.

— Si vous n’acceptez pas ?

  1. Je te confie mon cœur, au nom du maître de la vie, je suis malheureux et personne n’a pitié de moi, et pourtant le maître de la vie est grand pour moi.