tumes de guerre, galopait dans la campagne et s’approchait rapidement du défrichement.
« Diable ! murmura Balle-Franche entre ses dents, cela se gâte. Allons, je dois en convenir, ces païens maudits ont fait d’énormes progrès dans la tactique militaire ; si cela continue, ils nous en remontreront bientôt.
— Vous croyez ? répondit John Bright avec inquiétude.
— Pardieu ! reprit le chasseur, il est évident pour moi que nous allons être attaqués ; je connais maintenant le plan des Peaux-Rouges aussi bien que s’ils me l’avaient expliqué eux-mêmes.
— Ah ! fit curieusement Ivon.
— Jugez-en, continua le chasseur ; les Indiens veulent attaquer à la fois tous les postes occupés par les blancs, afin de les mettre dans l’impossibilité de se porter secours les uns aux autres ; c’est excessivement logique de leur part ; de cette façon ils auront bon marché de nous et nous massacreront en détail. Hum ! l’homme qui les commande est un rude adversaire pour nous. Mes garçons, il faut prendre gaiement notre parti ; nous sommes perdus, cela est aussi évident pour moi que si le couteau à scalper était déjà dans nos chevelures, il ne nous reste plus qu’à nous faire bravement tuer. »
Ces paroles, prononcées du ton tranquille et placide habituel au coureur des bois, fit courir un frisson de terreur dans les veines des assistants.
« Moi seul peut-être, ajouta insouciamment Balle-Franche, j’échapperai au sort commun.
— Bah ! fit Ivon, vous, vieux chasseur ; pourquoi donc !
— Dame ! dit-il avec un sourire railleur, parce que vous savez bien que les Indiens ne peuvent pas me tuer.
— Ah ! fit Ivon, stupéfait de cette réponse, en regardant son ami avec admiration.
— C’est comme cela, » termina Balle-Franche en posant à terre la crosse de son rifle et s’appuyant sur le canon.
Cependant, nous l’avons dit, les Peaux-Rouges avançaient rapidement ; la troupe se composait de cent cinquante cavaliers au moins, la plupart armés de fusils, ce qui prouvait que c’étaient des cavaliers d’élite ; en tête de la troupe, à dix pas en avant à peu près, galopaient deux cavaliers, des chefs probablement.
Arrivés à portée et demie des retranchements, les Indiens s’arrêtèrent, puis, après s’être pendant quelques instants concertés entre eux, un cavalier se détacha du groupe, fit caracoler son cheval, et lorsqu’il ne fut plus qu’à portée de pistolet des palissades, il déploya une robe de bison.
« Eh ! eh ! master John Bright, dit Balle-Franche d’un air narquois, comme chef de la garnison, ceci s’adresse à vous : les Peaux-Rouges demandent à parlementer.
— Aoh ! fit l’Américain, j’ai bien l’envie, pour toute réponse, d’envoyer une balle à ce rascal qui parade là-bas, et il leva son rifle.
— Gardez-vous en bien ! reprit le chasseur ; vous ne connaissez pas les Peaux-Rouges, tant que le premier coup de feu n’est pas tiré, il y a moyen de traiter avec eux.
— Dites donc, vieux chasseur, dit Ivon, si vous faisiez une chose ?
— Quoi donc, mon prudent ami ? répondit le Canadien.
— Dame ! puisque vous ne craignez pas d’être tué par les Peaux-Rouges, si vous alliez les trouver, vous, peut-être pourriez-vous arranger les choses ?
— Tiens ! mais c’est une idée cela, on ne sait pas ce qui peut arriver : j’y vais, cela vaudra peut-être mieux, après tout ; m’accompagnez-vous, Ivon ?
— Pourquoi pas ! répondit celui-ci ; avec vous je n’ai pas peur.
— Eh bien ! voilà qui est convenu ; ouvrez-nous la porte, master John Bright, surtout veillez bien pendant notre absence, et au premier mouvement suspect, faites feu sur les païens.
— Soyez tranquille, vieux chasseur, dit celui-ci en lui donnant une cordiale poignée de main ; je ne voudrais pas, pour un penny, qu’il vous arrivât malheur, car, by God ! vous êtes un homme.
— Je le crois, fit en riant le Canadien, mais ce que je vous en dis est plutôt pour ce brave garçon que pour moi, je vous assure que je suis bien rassuré sur mon compte.
— C’est égal, je surveillerai avec soin ces démons.
— Cela ne peut pas nuire. »
La porte fut ouverte, Balle-Franche et Ivon descendirent la colline et se dirigèrent vers le cavalier qui les attendait fièrement campé sur sa monture.
« Ah ! ah ! murmura Balle-Franche dès qu’il fut assez rapproché, du cavalier pour le reconnaître, je crois que nos affaires ne sont pas aussi mauvaises que je le supposais d’abord.
— Pourquoi donc ? demanda Ivon.
— Pardieu ! regardez ce guerrier ; ne reconnaissez-vous pas le Loup-Rouge ?
— C’est vrai, c’est en effet lui. Eh bien ?
— Eh bien ! tout me porte à croire que le Loup-Rouge n’est pas autant notre ennemi qu’il en a l’air.
— Bah ! vous en êtes sûr ?
— Silence ! nous verrons bientôt. »
Les trois hommes se saluèrent courtoisement à la mode indienne, en appuyant la main droite sur le cœur et en avançant la main gauche ouverte, les doigts écartés et la paume en dehors.
« Mon frère est le bienvenu parmi ses amis les faces pâles, dit Balle-Franche ; vient-il s’asseoir au feu du conseil et fumer le calumet dans mon wigwam.
— Le chasseur décidera : le Loup-Rouge vient en ami, répondit l’Indien.
— Bon, dit le Canadien ; le Loup-Rouge redoutait-il donc une trahison de la part de ses amis, qu’il s’est fait suivre d’un si grand nombre de guerriers ? »
Le Pied-Noir sourit avec finesse.
« Le Loup-Rouge est un chef parmi les Kenhàs,