Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Bien, monsieur, à mon tour d’exiger de vous l’accomplissement des promesses que vous m’avez faites.

— Veuillez préciser, monsieur ; depuis quelques heures j’ai été acteur et témoin de faits si extraordinaires, qu’il est possible que j’aie oublié ce que vous ai promis. »

Le comte sourit avec dédain.

« Je m’attendais à une défaite, dit-il sèchement.

— Vous interprétez mal mes paroles, monsieur, je puis avoir oublié sans pour cela refuser de faire droit à vos justes réclamations.

— Soit, j’admets cela, alors je vous rappellerai les conventions stipulées entre nous.

— Vous me ferez plaisir, monsieur.

— Je me suis engagé à assister près de vous et sans armes à la bataille, à vous suivre partout et à me tenir constamment au premier rang des combattants.

— C’est vrai, monsieur, il est de mon devoir de reconnaître que vous vous êtes noblement acquitté de cette tâche périlleuse.

— Fort bien, mais je n’ai en cela fait que ce que l’honneur me commandait ; vous, de votre côté, vous deviez, quelle que fût l’issue de la bataille, me rendre la liberté et m’offrir un combat loyal, en réparation de la trahison indigne dont vous m’avez rendu victime et du rôle odieux qu’à mon insu vous m’avez contraint à jouer.

— Oh ! oh ! s’écria le Bison-Blanc en fronçant les sourcils et en frappant du poing sur la table, auriez-vous réellement fait une telle promesse, enfant ? »

Le comte se tourna vers le vieillard avec un geste de souverain mépris.

« Je crois, Dieu me pardonne, monsieur, dit-il, que vous mettez en doute l’honneur d’un gentilhomme.

— Allons donc, monsieur, répondit en ricanant le conventionnel, que venez-vous nous parler d’honneur et de gentilhomme, à nous autres, vous oubliez que nous sommes dans le désert et que vous vous adressez à des Indiens sauvages, comme vous nous appelez ; est-ce que nous reconnaissons vos sottes distinctions de caste, ici ? est-ce que nous avons adopté vos lois et vos stupides préjugés ?

— Ce que vous traitez aussi cavalièrement, monsieur, repartit vivement le comte, a été jusqu’ici la sauvegarde de la civilisation et la cause du progrès intellectuel, mais brisons là, je n’ai pas à discuter avec vous ; c’est à votre fils adoptif que je m’adresse, c’est à lui à me répondre oui ou non, je saurai ensuite ce qui me restera à faire.

— Soit, monsieur, répondit le Bison-Blanc en haussant les épaules, que mon fils adoptif réponde donc, moi aussi, suivant ce qu’il vous dira, je saurai ce qui me restera à faire.

— Permettez, dit en s’interposant Natah-Otann, cette affaire me regarde seul, je vous en voudrais mortellement, mon ami, de vous en mêler de quelque façon que ce fût. »

Le Bison-Blanc sourit avec dédain, mais il ne répondit pas.

Natah-Otann reprit :

« Monsieur le comte, dit-il, je n’userai pas de faux-fuyants avec vous, vous avez dit la vérité, je vous ai en effet promis la liberté et un combat loyal, je suis prêt à dégager ma parole.

— Oh ! oh ! fit le Bison-Blanc.

— Silence ! reprit péremptoirement le chef, silence, mon ami, laissez-moi prouver à ces Européens, si vains et si orgueilleux de leur soi-disant civilisation, que les Peaux-Rouges ne sont pas les bêtes féroces qu’ils s’imaginent, et que le code de l’honneur, pratiqué à tous les degrés de l’échelle sociale, l’est même chez les peuples qu’on s’efforce de représenter comme étant les plus barbares ; vous êtes libre, monsieur le comte ; à l’instant même, si cela vous plaît, je vous conduirai moi-même en sûreté hors de nos lignes. Quant au combat que vous désirez, je suis également prêt à vous satisfaire de la façon que vous désignerez.

— Merci, monsieur, répondit le comte en s’inclinant, je suis heureux de cette détermination.

— Maintenant que cette affaire est réglée entre nous, permettez-moi d’ajouter quelques paroles.

— Je vous écoute, monsieur.

— Suis-je de trop ? dit ironiquement le Bison-Blanc.

— Au contraire, répondit avec intention Natah-Otann, votre présence est en ce moment plus nécessaire que jamais.

— Ah ! ah ! que va-t-il donc se passer, reprit le vieillard d’un ton de sarcasme.

— Vous allez l’apprendre, dit le chef toujours froid et impassible, si vous voulez vous donner la peine de m’écouter cinq minutes.

— Soit, parlez. »

Natah-Otann parut se recueillir pendant quelques instants, puis il reprit d’une voix que, malgré tous ses efforts pour la dissimuler, une secrète émotion faisait légèrement trembler :

« Monsieur, à la suite d’événements trop longs à vous rapporter et qui probablement seraient pour vous d’un médiocre intérêt, je suis devenu le tuteur d’une enfant qui est maintenant une charmante jeune fille ; cette jeune fille à laquelle j’ai constamment prodigué les soins les plus assidus et que j’aime comme un père, vous la connaissez, je crois, elle se nomme Fleur-de-Liane. »

Le comte tressaillit imperceptiblement et fit un geste affirmatif, sans autrement répondre.

Natah-Otann continua :

« Jeté maintenant dans une expédition hasardeuse, dans laquelle je puis trouver la mort, il m’est impossible de veiller plus longtemps sur cette enfant, il me serait pénible de la laisser sans soutien et sans appui, seule, dans ma tribu, si le sort venait à trahir mes projets ; je sais qu’elle vous aime, monsieur le comte, je vous la confie franchement et loyalement, j’ai foi en votre honneur ; voulez-vous être son protecteur ? je sais que vous n’abuserez jamais du mandat que je vous aurai remis, je ne suis qu’un sauvage dégrossi, un monstre peut-être au point de vue de votre civilisation, mais croyez-le, monsieur, les leçons qu’un