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Page:Aimard - Balle france, 1867.djvu/139

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homme d’élite a consenti à me donner n’ont pas été toutes perdues, et mon cœur n’est pas aussi mort qu’on pourrait le supposer aux bons sentiments.

— Bien, Natah-Otann, s’écria le Bison-Blanc avec joie, bien, mon fils ; maintenant je reconnais mon élève, je suis fier de toi ; celui qui parvient à se dompter aussi complètement est réellement fait pour commander aux autres.

— Vous êtes content, répondit le chef, tant mieux ; et vous, monsieur ? j’attends votre réponse.

— J’accepte le dépôt sacré que vous me remettez, monsieur, je serai digne de votre confiance, répondit le comte avec émotion ; je n’ai pas le droit de juger vos actes, mais croyez, monsieur, que, quoi qu’il arrive, il y aura toujours un homme qui défendra votre mémoire et proclamera hautement la noblesse de votre cœur. »

Le chef, sans répondre, frappa dans ses mains, la porte, s’ouvrit, Fleur-de-Liane parut, amenée par une femme indienne.

« Enfant, lui dit Natah-Otann sans que rien ne vînt déceler la violence qu’il faisait à ses sentiments, votre présence parmi nous est désormais impossible, vous en connaissez les raisons ; le chef des visages pâles consent à veiller dorénavant sur vous ; suivez-le, et si parfois on vous rappelle votre séjour dans la tribu des Kenhàs, ne maudissez ni eux ni leur chef, car tous ont été bons pour vous. »

La jeune fille rougit, les larmes lui vinrent aux yeux, un frisson nerveux agita tous ses membres, et, sans prononcer une parole, elle alla se placer auprès du comte.

Natah-Otann sourit tristement.

« Suivez-moi, dit-il, je vais vous escorter jusqu’en dehors du camp. »

Et il sortit suivi des deux jeunes gens.

« Nous nous reverrons bientôt, n’est-ce pas, noble comte ? cria le Bison-Blanc à M. de Beaulieu.

— Je l’espère, » répondit simplement celui-ci.

Guidés par Natah-Otann, le comte et sa compagne quittèrent le fort et s’engagèrent dans la prairie, passant au milieu des groupes de Peaux-Rouges qui s’écartaient respectueusement pour leur faire place.

Leur marche fut silencieuse, elle dura environ une demi-heure ; enfin le chef s’arrêta :

« Ici vous n’avez plus rien à craindre, dit-il, et s’approchant d’un épais fourré dont il écarta les branches, voici deux chevaux que j’ai fait préparer pour vous, prenez aussi ces armes, peut-être en aurez-vous besoin, et maintenant, si vous voulez toujours vous battre contre moi, je suis prêt.

— Non, répondit noblement le comte, tout combat est désormais impossible entre nous, je ne puis davantage être l’ennemi d’un homme que l’honneur m’ordonne d’estimer ; voilà ma main, jamais je ne la lèverai contre vous, je vous la tends franchement et sans arrière-pensée ; malheureusement, une haine trop profonde divise nos deux races pour que nous ne nous trouvions pas, dans un jour prochain, opposés l’un à l’autre ; mais si je combats vos frères, je n’en demeurerai pas moins personnellement votre ami.

— Je ne vous en demande pas davantage, répondit le chef en serrant la main qui lui était tendue, adieu ! soyez heureux. »

Et, sans ajouter un mot, il se détourna et reprit à grands pas la route qu’il venait de parcourir ; bientôt il disparut dans l’obscurité.

« Partons, » dit le comte à la jeune fille, qui regardait toute pensive s’éloigner l’homme que si longtemps elle avait aimé comme un père, et que maintenant elle ne se sentait pas la force de haïr.

Ils se mirent en selle et s’éloignèrent après avoir jeté en arrière un regard sur les feux épars du camp des Pieds-Noirs.


XXVIII

À CHACUN SELON SES ŒUVRES.


La nuit était sombre, froide et triste, pas une étoile ne brillait au ciel, les jeunes gens ne se dirigeaient qu’avec des difficultés extrêmes à travers les fourrés de lianes et de broussailles, dans lesquels les pieds de leurs chevaux s’enchevêtraient à chaque instant.

Ils n’avançaient qu’avec une extrême lenteur, trop préoccupés l’un et l’autre de l’étrange situation dans laquelle ils se trouvaient et des événements extraordinaires dont ils avaient été témoins et acteurs, pour rompre le silence qu’ils gardaient depuis leur sortie du fort.

Ils marchaient ainsi depuis environ une heure, lorsque tout à coup il se fit un grand bruit dans les broussailles : deux hommes s’élancèrent à la tête des chevaux, et, les saisissant par le mors, les contraignirent à s’arrêter.

Fleur-de-Liane poussa un cri de frayeur.

« Holà ! brigands, s’écria le comte d’une voix forte en armant un pistolet ; arrière, ou je vous brûle !

— Sacrebleu ! n’en faites rien, monsieur le comte, vous risqueriez de tuer un ami, répondit aussitôt une voix que M. de Beaulieu reconnut pour être celle du chasseur.

— Balle-Franche ! dit-il avec étonnement.

— Pardieu ! reprit celui-ci, croyez-vous donc que je vous avais abandonné, par hasard.

— Mon maître, mon bon maître ! » s’écria le Breton en lâchant la bride du cheval de Fleur-de-Liane dont il s’était emparé, et il s’élança vers le jeune homme avec des cris de joie.

Le jeune homme, heureux de revoir son vieux serviteur, se laissait embrasser par lui et répondait avec effusion à ses caresses.

« Ah çà ! reprit le comte, lorsque la première émotion causée par la surprise fut un peu calmée,